Conception de la pensée
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le terme de “pensée”, lorsqu’il est utilisé pour faire référence à une réalité traduite dans le langage, peut désigner trois types de phénomènes :
La pensée comme idée
La pensée peut être l’expression d’une idée originale,
souvent ingénieuse, confinée au domaine de l’esprit, mais traduite linguistiquement en raison
des nécessités de la communication. Ainsi dans :
L’Histoire comique des Etats et Empires de la Lune (1657) commence
par une pensée de Dyrcona, le narrateur. [déplier] “- Et moi, leur
dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois […] que la lune est un
monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune. […]
Cette pensée cependant, dont
la hardiesse biaisait à mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si
profondément chez moi, que pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille
définitions de la lune, dont je ne pouvais accoucher.” (p. 2-3)
Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène (1671) de Bouhours. [déplier] J’ai lu dans je ne sais quel philosophe platonicien, reprit Ariste, que ces humeurs, toutes matérielles qu’elles sont, font les beaux génies, de même à peu près que les vapeurs de la terre font les foudres et les éclairs. La pensée de ce philosophe est subtile et ingénieuse. (p. 168)
Dans le même ordre d’idées, Puget de la Serre, dans son Esprit de Sénèque ou les plus belles pensées de ce grand philosophe (1657), “met en préceptes” (préface, n. p.) les pensées du philosophe, afin que le lecteur puisse en tirer un profit moral tout en y prenant plaisir. Il précise n’avoir contribué “qu’au langage” et au “tour de période”. Autrement dit, il propose une formulation nouvelle de pensées anciennes qu’il rassemble en une sorte de recueil. Claude Le Petit dans Les Plus Belles Pensées de Saint-Augustin (1666, posthume) procède de la même manière, mais versifie les pensées de l’évêque d’Hippone. Même pratique également dans les Pensées morales et réflexions chrétiennes et politiques tirées de pères de l’Eglise et des plus célèbres auteurs (Anonyme, 1667).
la pensée comme trait d’esprit.
Comme dans les Nouvelles
Nouvelles, la pensée peut désigner en ce cas un trait d’esprit saillant dans un
discours continu. Elle présente les mêmes caractéristiques que la pointe, mais avec une
connotation moins négative. Ce type de pensée est évidemment très proche de la pensée comme
idée.
la pensée comme réflexion non formalisée à caractère religieux.
Dans les années
1650-1660, bon nombre d’ouvrages à caractère religieux ou d’obédience stoïcienne portent le
titre de “pensées”. [liste]Les Pensées utiles, nécessaires au
public sur le temps présent (1650)
Les Soliloques et méditations de
Saint-Augustin, avec les dévotes pensées sur le Saint-Sacrement, 1650 (rééd. 1659,
1662)
Marc Aurèle, Pensées morales (1651 ; rééd. 1655-9,
1669)
De Bourdonné, Le Courtisan désabusé ou Pensées d’un gentilhomme qui
a passé la plus grande partie de sa vie dans la cour et dans la guerre (1658 ;
rééd. 1659, 1665)
Vattier, Pierre, Nouvelles pensées sur le Traité des
passions, 1659
Drouart, Recueil des pieuses pensées sur la
Passion du fils de Dieu, 1665
Claude Le Petit, Les Plus Belles
Pensées de St-Augustin, prince et docteur de l’Eglise, mises en vers français
(1666)
Toussaint de Saint-Luc, Les Pensées de la solitude chrétienne sur
l’éternité, le mépris du monde et la pénitence (1666 , 4è
éd.)
Pensées sur la mort (1667)
Pensées morales et
réflexions chrétiennes et politiques tirées de pères de l’Eglise et des plus célèbres
auteurs (1667)
Puget de la Serre, Les Douces Pensées de la
mort (1668)
Blaise Pascal, Pensées sur la religion, etc.
(1669)
Bouhours, Pensées chrétiennes pour tous les jours du mois
(1669, 4è éd.)
Duvergier de Hauranne, Pensées chrétiennes sur la
pauvreté (1669)
A l’exception de L’Esprit de
Sénèque (1657) de Puget de la Serre et des Plus Belles Pensées de
Saint-Augustin (1666) de Claude Le Petit, tous les ouvrages constituant cette liste
sont composés de plusieurs pensées qui s’étendent sur une à plusieurs pages. Ces pensées,
consistant la plupart du temps en méditations ou réflexions sur un thème religieux, sont
délibérément dépourvues de mise en forme et détachées de tout souci esthétique, ainsi que le
revendique la préface des Pensées morales (1651) de Marc-Antoine.
[citation] "Ainsi ces douze livres ne sont qu’un ramas de pensées
morales, écrites à mesure que les occasions les ont fait naître, mais écrites avec la
négligence et la brièveté qui se trouvent en tous les mémoires que les hommes font pour eux
seuls, ou pendant que les choses sont présentes à leur esprit, peu de paroles leur semblent
suffire pour les exprimer.
C’est pourquoi il ne faut demander ici ni une suite en
l’ordre des pensées ni des ornements en l’expression.”