A Philis sur ce qu’elle avait défendu à Tirsis de soupirer
Cette "Élégie du soupir" est une pièce d'Antoine Baudeau de Somaize qui figure aux pages 180-182 des Délices de la poésie galante, recueil du libraire Jean Ribou publié en 1664. Dans les pages suivantes du même volume, deux pièces répondent à cette élégie : le "Sizain à Philis sur ce qu'elle avait demandé l'élégie précédente" de Savinien Riflé et la "Réponse à L'Elégie du soupir", précédemment publiée dans les Nouvelles Nouvelles.
Pour calmer les ennuis dont mon âme est atteinte,
Accordez
à mes maux le secours de la plainte,
Et puisqu’en vain j’aspire à vous
toucher le coeur,
Souffrez à mes soupirs de flatter ma langueur.
Ces
vagabonds formés de respect et de flamme,
Iront au gré du sort vous
dépeindre mon âme,
Et vous la faisant voir sur le point d’expirer,
Peut-être avouerez-vous que j’ai dû soupirer ;
Mais, hélas ! Ces soupirs,
loin d’adoucir ma peine,
Attirent dessus moi votre implacable haine ;
Ce qu’en nous la nature a formé d’innocent
Vous paraît criminel bien qu’il
soit impuissant,
Et votre injuste arrêt à mes maux trop funeste,
M’ôte
dans mon malheur tout l’espoir qui me reste :
Il est dedans ma mort et je
ne puis mourir,
Vous me le défendez, mais sans me secourir.
Dans cette
extrémité, Philis, que faut-il faire ?
Le soupir à mes maux est un mal
nécessaire,
Mon sort dépend de lui, si ma vie est à vous,
Cependant
soupirer c’est vous mettre en courroux ?
D’un seul soupir dépend l’heur de
mes destinées,
Aux seuls soupirs je dois le cour de mes années,
Philis, sans le soupir ne verrait point le jour,
Et moi sans son secours je
serais sans amour :
Chérissez donc ce vent à qui tout doit la vie,
La
Nature à l’aimer vous pousse et vous convie ;
Puisque même la mort, sourde
à toutes [sic] nos pleurs,
Consent que nos soupirs lui
content nos douleurs.
Prêt à lui découvrir les tourments que j’endure,
J’allais par un soupir ouvrir ma sépulture,
Et ce puissant remède allait me
secourir
Alors que votre arrêt m’empêcha de mourir.
Depuis ce temps
fatal je n’ai recours qu’aux larmes,
Mais contre vos rigueurs ce sont de
faibles armes,
En vain je les emploie à vaincre vos froideurs :
Où
l’Amour ne peut rien, las que pourront des pleurs !
C’est toutefois,
Philis, ma dernière espérance,
La voix et le soupir sont hors de ma
puissance,
Et même mon trépas n’est plus en mon pouvoir :
Contraint de
vivre en mort pour suivre mon devoir
Je cherche le moyen, dans l’ennui qui
me presse,
De faire naître en vous quelque peu de tendresse.
Je
commets à mes pleurs le soin de ma douleur,
Mais ce langage est froid et je
suis plein d’ardeur.
Un soupir échappé du profond de mon âme,
Vous
expliquerait mieux la grandeur de ma flamme.
Oui, ce triste soupir que je
n’ose former,
Peut seul, dans ma langueur, servir à m’exprimer.
Ce
vent aimé des dieux, et chéri du silence,
Qui, flattant nos désirs, nourrit
notre espérance,
Ce craintif téméraire à qui tout doit le jour,
Vous
dirait en secret qu’il est fils de l’Amour.
Mais que me servirait qu’il
vous tînt ce langage,
Si voulant m’obliger, il vous faisait outrage ?
Arrêtez donc, soupir qui pouvez l’outrager,
Ou bien plutôt sortez afin de
me venger.
Cessez d’être soumis, mon amour vous l’ordonne,
Qui ne
craint pas les dieux ne doit craindre personne.
Tu t’abuses, mon cœur, et
tu crains son courroux,
De ce respect craintif les dieux semblent
jaloux,
Ils le sont de tes voeux et tu l’es de ta flamme,
Puisqu’ils
sont tes rivaux, chasse-les de ton âme.
N’écoute que Philis, n’aime que ses
appas,
Offre lui tous tes voeux, mais ne soupire pas.
Tu ne peux
soupirer sans te rendre coupable,
Sois au moins innocent, si je suis
misérable !
Que l’on dise de toi, que n’osant murmurer,
Tu fis vivre
Tirsis, sans jamais soupirer.