Le genre fictionnel de la nouvelle en 1662
Au moment où Donneau de Visé élabore son projet, les ouvrages portant le titre de “nouvelle”, au singulier ou au pluriel, sont encore relativement rares. A cela s’ajoute le fait que le terme renvoie, dans l’esprit des contemporains, à plusieurs réalités distinctes :
un corpus d’oeuvres anciennes, clairement identifiable en tant que tel, dont la matière consiste dans “les finesses et les tromperies galantes et tout ce qui se passe de surprenant et de gaillard dans le commerce du monde amoureux” (Richelet). C’est la nouvelle d’origine boccacienne, qui donne lieu à une floraison de recueils à la Renaissance, soit traduits de l’italien, soit composés directement en français (de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre aux Joyeux Devis de Bonaventure des Périers) et généralement organisés autour de la structure prétexte de l’échange entre devisants. Ce modèle suranné avait été imité et actualisé dans Les Nouvelles françaises (1656) de Segrais - sorte de remake de L’Heptaméron dans un geste politique analogue à celui de Marguerite de Navarre, qu’il accommode aux exigences du temps -, puis dans Les Nouvelles ou les Divertissements de la princesse Alcidiane (1661) de Mme de La Calprenède, elles-mêmes inspirées du recueil de Segrais. Autre imitation possible dans la curieuse Célinte, nouvelle première (1661), attribuée à Madeleine de Scudéry, dont la qualification de "nouvelle première" évoque la structure des recueils précédents.
un type d’oeuvres narratives fictionnelles reprenant les vertus du roman à une échelle différente et sur un mode narratif différent, que les Espagnols ont développé à la suite de Cervantès (Nouvelles exemplaires) et dans lesquelles il sont réputés exceller (“ les Espagnols avaient le secret de faire de petites histoires qu’ils appellent nouvelles” reconnaissait Scarron dans son Roman comique). Ces textes sont souvent traduits en français et constitués en ensembles (Les Nouvelles tragi-comiques de Scarron et autres recueils de Boisrobert et d’Ouville) ou intégrés à d’autres entités plus vastes (Le Roman comique de Scarron), en particulier à l’époque où la comédie espagnole est abondamment adaptée sur les scènes parisiennes (années 1650). Sorel en avait donné un équivalent français avec Les Nouvelles françaises, où se trouvent les divers effets de l’Amour et de la Fortune, 1623)
Au début des années 1660, un nouveau genre de “nouvelle” fait son apparition. On le reconnaît tout d’abord à la mention, au singulier, de cette dénomination dans le titre d’une série d’ouvrages :
L’Amant ressuscité, nouvelle par M. A. Ancelin, Paris, Sommaville, 1658
Le Rival encore après la mort, nouvelle, Paris, Courbé et de Luyne, 1658
Le Portrait funeste, nouvelle par le Sr Ancelin, Paris, Bienfait, 1661
Cléante ou Don Carlos, nouvelle, Paris, Jolly, 1662
La vogue s’étend, du reste, au-delà de la parution des Nouvelles Nouvelles
Lisandre, nouvelle par Mademoiselle Desjardins, Barbin (septembre 1663)
Célie, nouvelle, Barbin, 1663 (réédité en 1664 et 1669 sous le titre Célie, ou la comtesse Mélicerte, nouvelle véritable et amoureuse de ce temps, Paris, Loyson; attribuée à Jean Bridou).
Eraste, nouvelle où sont décrites plusieurs aventures amoureuses, Paris, Loyson, 1664 (attribuée à Claude Colin)
Or ces ouvrages possèdent les mêmes caractéristiques :
ils font l’objet d’une publication isolée, auprès d’éditeurs de nouveautés à la mode ;
ils proposent à leur public des histoires amoureuses aux multiples rebondissements, qui ont pour protagonistes des jeunes gens issus de la noblesse ou de la bourgeoisie fortunée, et qui se déroulent dans un cadre rappelant, parfois sous le couvert de localisations lointaines, l’univers familier de la vie mondaine.
Ce nouveau genre de nouvelles, qui à ce jour n’a pas encore fait l’objet d’études critiques approfondies, s’inscrit dans le prolongement de certaines des histoires du recueil de Segrais (“Eugénie” et “Honorine” au premier chef) et s’apparente aux comédies d’inspiration espagnole qui règnent sur la scène française à la fin des années 1650 et encore au début de la décennie suivante. A ce titre, on peut les qualifier de “nouvelles d’aventures amoureuses”.
C’est ce type de nouvelles que Donneau semble avoir à l’esprit quand, en 1662, il choisit de donner le nom de Nouvelles Nouvelles, au recueil composite dans lequel il se propose d’exploiter, sous forme narrative, des sujets d’actualité politique (Fouquet, dans « La Prudence funeste ») et culturelle (l’information, la curiosité). Cela ne l’empêche pas toutefois de s’en écarter pour certaines des histoires qu’il propose, à l’instar de celles des “Nouvellistes”.