Les nouvellistes après les Nouvelles Nouvelles
Des Nouvelles Nouvelles aux Caractères
Le personnage comique de nouvelliste qu’invente Donneau de Visé connaît un certain succès dans les deux décennies qui suivent les Nouvelles Nouvelles.
Lui-même, en premier lieu, le réutilise dans dans « Les Soirées des auberges » (Diversités galantes, dès l’édition imprimée fin 1663), le fait apparaître dans Les Nouvelles galantes, comiques et tragiques (1669), et en fait un usage important dans les tomes II et III du Mercure galant
L’année suivant la publication des Nouvelles Nouvelles, René le Pays tient des propos satiriques sur les nouvellistes dans une lettre de ses Amitiés, amours, amourettes (1664, p. 414).
Hauteroche intitule une comédie créée en 1678 Les Nouvellistes. Elle n’a jamais été imprimée (voir F. Moureau, La Plume et le plomb, Paris, PUPS, 2006, p. 389).
Plus largement, sans qu’il soit possible d’y apprécier l’influence de Donneau de Visé, divers ouvrages mondains continuent à utiliser ou à discourir sur la figure du nouvelliste comme un fâcheux incivil, qui se mêle d’affaires dont il ne devrait pas s’occuper.
Molière dépeint un nouvelliste politique sous les traits d’un fâcheux dans La Comtesse d’Escarbagnas (1671). [citation] « Je serais ici il y a une heure, s’il n’y avait point de fâcheux au monde, et j’ai été arrêté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m’a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver moyen de m’en dire des plus extravagantes qu’on puisse débiter ; et c’est là, comme vous savez, le fléau des petites villes, que ces grands nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu’ils ramassent. Celui-ci m’a montré d’abord deux feuilles de papier, pleines jusques aux bords d’un grand fatras de balivernes, qui viennent, m’a-t-il dit, de l’endroit le plus sûr du monde. Ensuite, comme d’une chose fort curieuse, il m’a fait, avec grand mystère, une fatigante lecture de toutes les méchantes plaisanteries de la Gazette de Hollande, dont il épouse les intérêts. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet écrivain, et qu’il ne faut que ce bel esprit pour défaire toutes nos troupes ; et de là s’est jeté à corps perdu dans la raisonnement du Ministère, dont il remarque tous les défauts, et d’où j’ai cru qu’il ne sortirait point. À l’entendre parler, il sait les secrets du Cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l’Etat lui laisse voir tous ses desseins, et elle ne fait pas un pas, dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins, et remue à sa fantaisie toutes les affaires de l’Europe. Ses intelligences même s’étendent jusques en Afrique, et en Asie ; et il est informé de tout ce qui s’agite dans le Conseil d’en haut, du Prête-Jean, et du Grand Mogol. » (acte I, scène 1)
Un long passage de la Gazette d'Amsterdam, dans l'article de Paris du 5 mai 1676, fait état de rassemblements politiques dont les leaders sont qualifiés de "nouvellistes", ainsi que des violences qui surviennent lors de ces rassemblements. Cette satire reprend les principales caractéristiques qui leur sont attribuées, notamment, dans les volumes II et III du Mercure Galant. [extrait] Depuis le commencement de la guerre, il s’est érigé dans cette ville plusieurs cabales de nouvellistes qui prétendent régler tous les intérêts des potentats du monde selon leur tête. Il serait impossible de représenter au juste les différents personnages qui composent ces assemblées curieuses qui se tiennent tous les jours au Luxembourg, au Palais Royal, aux Tuileries, aux Augustins, à l’Arsenal et sur le Boulevard. Les uns introduisent les ennemis jusques au coeur du royaume avant la fin de la campagne, les autres portent nos conquêtes jusques au bord de l’Elbe et du Tage. D’autres se contentent de défendre nos frontières et de conduire avec facilité toutes sortes de munitions à Philisbourg et les disputes s’échauffèrent si fort le 28 du [mois] passé que Monsieur le marquis de la Goulette, membre de ces illustres assemblées et grand politique, ne pouvant souffrir qu’un provincial depuis peu revenu d’Angleterre avec un nom illustre qu’il y a pris, s’ingérât de le contredire opiniâtrement à tort ou à droit, en tout ce qu’il mettait en fait, après avoir souffert assez longtemps et se voyant enfin poussé à bout la patience lui échappa et pour répondre aux raisons que l’autre lui opposait, il lui déchargea un grand coup de canne sur le nez dans la Grande allée des charmes du Luxembourg en présence de tous leurs confrères qui les empêchèrent de passer outre et qui se sont partagés selon leur inclination. Le provincial cependant qui n'a de la qualité qu’en son nom seulement en a fait informer non pas tant pour avoir réparation de l’affront qu’il a reçu que pour la faire donner au Luxembourg qu’il prétend en avoir reçu un grand en sa personne. Le marquis, au contraire, comme étant homme de condition, prétend se pourvoir par devant Messieurs les maréchaux de France.
Poulain de La Barre, dans son traité De l’égalité des deux sexes (1676), en fait le stéréotype du bavard inutile masculin (p. 223).
Dans Le Courrier d'Amour (1679) ils sont, en revanche, plutôt présentés comme des passeurs d'informations (p. 3).
Le traité de civilité du P. Vaumorière, L’Art de plaire dans la conversation (1688, p. 418-428), intitule le vingtième entretien “De quelle manière on doit dire les nouvelles”, et décrit, entre autres, la posture avec laquelle il faut discuter de politique.
Enfin, en dehors de la sphère mondaine, le terme de nouvelliste continue de fonctionner comme un qualificatif désignant un individu qui diffuse des nouvelles de manière problématique.
L’édition de Leyde de la Rome pleurante ou les entretiens du Tibre et de Rome de Grégorio Leti (1666) l’utilise à plusieurs reprises pour parler des auteurs de pamphlets.
Pierre Bayle, engagé dans une querelle autour de l’apparition de la comète en 1680, l’utilise dans les Pensées diverses sur la comète, p. 214, pour fustiger les bavards qui répandent les superstitions.
La Suède redressée dans son véritable intérêt (1682), ouvrage
commentant les mouvements politiques contemporains de la Suède, illustre bien la
continuité de l’enjeu de contrôle de l’information, et le sens que nouvelliste prend
dans ce contexte, celui qui publie des informations. [extrait] « Ce ministre [Le comte d’Avaux, ambassadeur de France à La Haye] ne pouvait
pas parler plus clair. Et parce qu’un malheureux relationnaire avait publié que
la chose n’était pas ainsi, Monsieur d’Avaux donna encore un second mémoire par
lequel il a demandé justice contre ce nouvelliste, et a confirmé, en termes plus
forts que tout ce qu’il avait dit par son premier mémoire, qu’il ne l’avait dit
que par ordre exprès du roi son maître. » (p. 50)
On trouvera plus de détails sur cette affaire, ainsi qu’une
autre mention du terme « nouvelliste », dans le Mémoire de Messieurs
van Citters et van Beuningen… (1681)
De la Bruyère au XVIIIe siècle
Les usages du terme se poursuivent à la fin du XVIIe siècle dans une acception similaire à celle des années 1660-1670. Deux portraits importants de nouvellistes voient toutefois le jour :
La Bruyère, dans ses Caractères (première édition en 1688),
traduit le chapitre “Le fabulateur” de Théophraste par “Du débit de nouvelles”.
Cette traduction reprend des traits couramment attribués aux “nouvellistes” : leur
incivilité, le manque de fiabilité de leurs informations, … En outre, le terme même
apparaît à plusieurs reprises dans l’ouvrage. [répertoire] -
De l’homme, caractère 33, en tant que “raisonneur” de bas étage
- Du mérite
personnel, caractère 39, en tant que curieux et diffuseur d’informations.
-
Des grands, caractère 46.
Une année après La Bruyère, un grand poème héroï-comique intitulé Le Grand Théâtre des nouvellistes, voit le jour. Il y est question de guérir un dédicataire de son goût des nouvelles. Fait remarquable : le plaidoyer se situe cette fois-ci sur un plan religieux. On reproche aux nouvellistes, qui ne pensent qu’à l’avenir et ne s’occupent que de choses indifférentes au salut de leur âme, de se détourner de Dieu.
Les mentions du terme nouvelliste, en cette fin de siècle, reprennent les caracteristiques qui sont traditionnellement attribuées au personnage. L'influence des oeuvres précédemment citées apparaît quelquefois.
Les Réflexions sur le ridicule et les moyens de l’éviter (1696) de Morvan de Bellegarde consacrent un chapitre entier aux « Nouvellistes, caractère ridicule », qui reprend « Du débit de nouvelles » de La Bruyère. [extrait] « La société veut qu’on s’entretienne quelquefois de nouvelles et de bruits qui courent. Mais le caractère de nouvelliste conduit au ridicule : c’est une espèce de profession, qui rabaisse l’homme au-dessous de lui-même. Ces sortes de gens vous abordent toujours avec le même compliment : Que dit-on dans le monde ? Quelle nouvelle savez-vous ? Quelque affaire que vous ayez, ils ne vous quittent point qu’ils ne vous aient raconté tout ce qu’ils savent, ou tout ce qu’ils ont rêvé. »
L’Abbé Renaud leur jette l’anathème en 1697, dans ses Manières de parler de parler la langue française selon différents styles[extrait] « Il est vrai qu’à l’égard des Etats étrangers, on peut entrer plus librement dans le secret de leurs affaires, mais il ne faut pas néanmoins jamais s’oublier, ni perdre le respect qui leur est dû à raison de leur rang. Que dire après cela de ces diseurs éternels de nouvelles, qui s’érigent en nouvellistes de profession, qui font la guerre et la paix d’un ton affirmatif, selon leur caprice ou leur intérêt, qui parlent du gouvernement de l’Etat aussi librement que de celui de leur famille, d’un air décisif et quelquefois dangereux, qui enfin ne croiraient pas parler français ni en bon français, s’ils ne disaient de loin au pape même des injures, qu’ils n’oseraient peut-être pas dire de près à un crocheteur. »
Pierre Ducamp y consacre un ouvrage entier, en 1690 : Satires ou Réflexions sur les erreurs des hommes et les nouvellistes du temps.
Permanences au XVIIIe siècle
Au siècle suivant, le terme de nouvelliste connaît un succès remarquable en tant que sujet principal de chapitres, d’ouvrages et de pièces de théâtre. Il conserve les traits qui lui ont été attribués notamment par Donneau de Visé, puis par La Bruyère à la fin du XVIIe siècle.
Le développement le plus important sur les nouvellistes semble être celui de Montesquieu, qui leur consacre toute la lettre 130 de ses Lettres persanes (1721). La description reprend les caractéristiques attribuées au siècle précédent. [extrait] « Je te parlerai dans cette lettre d’une certaine nation qu’on appelle les nouvellistes, qui s’assemblent dans un jardin magnifique, où leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très inutiles à l’Etat et leurs discours de cinquante ans n’ont pas un effet différent de celui qu’aurait pu produire un silence aussi long ; cependant ils se croient considérables, parce qu’ils s’entretiennent de projets magnifiques, et traitent de grands intérêts. […] Ils font voler les armées comme les grues, et tomber les murailles comme des cartons ; ils ont des ponts sur toutes les rivières, des routes secrètes dans toutes les montagnes, des magasins immenses dans les sables brûlants ; il ne leur manque que le bon sens. »
Dans le prolongement des précédentes satires, l’Abbé Bordelon intitule le chapitre XVIII de La Langue… « La langue du nouvelliste ».
Au théâtre, la comédie Le Nouvelliste d’Esprit Jean de Rome d’Ardène, dont la date de création est incertaine (entre 1701 et 1739), (re)lance le personnage sur la scène. La préface de cette pièce ne conserve aucun souvenir des pièces précédentes sur ce sujet, ce qui témoigne de l’écho limité de celles-ci [citation] « J’avouerai ici ingénument que j’ai peine à croire que le sujet que je traite ait échappé à la recherche et au discernement de nos comiques, tant anciens que modernes. Le caractère qu’il représente est trop frappant : il donne, quand il est outré, un ridicule si notable, qu’il serait surprenant qu’aucun d’eux ne se fût avisé de l’exposer sur la scène. Cependant il n’en a point encore été fait, du moins que je sache, une comédie en forme […] Le caractère du nouvelliste est donc le sujet principal de cette comédie. La scène comique, cet épouvantail, ce fléau du ridicule en a souvent jeté sur des travers peut-être plus excusables que celui que donne le nouvellisme ; on me passera ce terme. La curiosité frivole et ridicule qui en est presque toujours inséparable n’est pas son plus grand défaut. »
La scène théâtrale connaît une inflation du thème dans le dernier quart du XVIIIe siècle. F. Moureau (op. cit., p. 382-383) repère ainsi sept pièces dont le titre mentionne explicitement le terme de « nouvellistes ».
C’est au XVIIIe siècle également que se situe l’origine du glissement sémantique qui
conduira le siècle suivant à faire de « nouvelliste » un synonyme de « journaliste ». De
nombreuses publications périodiques utilisent en effet « nouvelliste » dans leur titre
comme effet de personnification. [aperçu non exhaustif] -
Le Nouvelliste philosophe (traduction du Spectator)
-
Le Nouvelliste sans fard (1723)
- Le Nouvelliste
universel (1724)
- Le Nouvelliste politique, galant et
savant (1727)
- Le Nouvelliste du Parnasse (1730)
- Le Nouvelliste exact (1735)
- Le Nouvelliste
suisse (1748)
- Le Nouvelliste du Parnasse français
(1750)
- Le Nouvelliste économique (1754)
- Le
Nouvelliste du Parnasse, de Cythère et de la Cour (1756)
- Le
Nouvelliste impartial (1757)
- Le Nouvelliste
provincial (1759)
- Nouvelliste politique d’Allemagne
(1780)
- Le Nouvelliste impartial (1789)