Ouvrages mêlés
Dans la littérature contemporaine des Nouvelles Nouvelles, il est tout à fait courant qu’un ouvrage publié sous la forme d’un volume imprimé soit constitué de différents textes plus ou moins autonomes les uns par rapport aux autres. Ces unités distinctes, de longueurs variables, sont parfois proposées à l’intérieur d’une structure encadrante globale, parfois simplement données à lire les unes à la suite des autres. En l’absence d’un terme propre à qualifier cette pratique constitutive de l’édition au XVIIe siècle, on empruntera à le terme d’ « ouvrages mêlés » à la Bibliothèque française (1664) de Charles Sorel.
Les Nouvelles Nouvelles offrent une parfaite illustration de ce que l’on entend par l’expression « ouvrage mêlé » : annonçant des “nouvelles” sur sa page de titre, l’ouvrage publie en fait deux récits fictionnels autonomes dans sa première partie, tandis que la seconde et la troisième partie sont constituées d’une troisième fiction narrative qui fait office de cadre accueillant des pièces de natures aussi diverses qu’une conversation des soupçons, des considérations de critique dramatique sur Corneille et Molière, des extraits d’une tragédie, des bons mots sur les nouvellistes…
Le livre, une support matériel
Quelques observations permettent de saisir la logique inhérente à la composition de ces « ouvrages mêlés ».
Un fait particulièrement remarquable à l’époque des Nouvelles Nouvelles est que le livre, en tant qu’objet matériel, et le texte qu’il contient, constituent des entités absolument autonomes. Un livre est un support physique qui permet de diffuser textes et gravures. Il est dès lors possible que le volume imprimé ne contienne qu’un seul texte, comme il peut aussi bien arriver qu’il en contienne plusieurs, et parfois, d’auteurs différents. Inversement, un texte peut également être réparti sur plusieurs livres.
Dès lors, le titre d’un livre ne désigne pas forcément un texte unique et distinct. Le cas certes n’est pas rare (un titre de roman désigne le texte de ce roman), mais souvent c’est le type de contenu que l’on trouvera à l’intérieur de ce livre (“Maximes”, “Caractères”, “Nouvelles”, “Pensées”) qui est ainsi indiqué. Sorel le rappellera dans sa Bibliothèque française :
“Il y en a assez [d’auteurs] qui sous un seul titre comprennent beaucoup de choses, ou qui les expriment ensuite”.
Considérer le livre comme un support matériel est la condition nécessaire pour comprendre la pratique éditoriale des « ouvrages mêlés » : un livre est un espace de publication extrêmement plastique, dans lequel il est possible de placer tout ce que l’on souhaite publier.
Des contenus à publier
En elle-même, toute pièce de littérature mondaine (conversations, élégies, lettres, …) est une entité autonome potentiellement publiable. C’est de cette manière qu’en parle René le Pays dans sa préface d’Amitiés, amours, amourettes (1664), autre exemple typique d’ouvrage mêlé (c’est nous qui soulignons) :
[…] j’étais autant ennemi de ma propre réputation que de la
satisfaction publique, si je ne faisais sortir de mon cabinet des choses qui pouvaient
paraître dans le monde avec honneur. […] Vous souvient-il qu’après avoir entendu cinq ou
six de mes sonnets, et une douzaine de mes lettres, vous portâtes votre flatterie
jusqu’à me dire qu’il n’y avait rien de plus galant […]
(n. p.)
Dans cette optique, la pratique éditoriale des « ouvrages mêlés » devient constitutive de la littérature mondaine, et ce, pour deux raisons :
Par nécessité, d’abord : la relative brièveté de ces pièces fait qu’il est nécessaire d’en rassembler plusieurs pour constituer un volume. Furetière l’explicite dans ses Poésies diverses (1655) : « Que dans ce siècle malheureux où l’on achète des livres selon qu’ils sont gros et pesants, si j’eusse fait un livre de la taille d’un almanach, mon libraire n’y eût pas trouvé son compte et m’eût donné quelques associés pour composer un recueil, ce que je voulais éviter. J’ai donc été obligé de laisser le son avec la farine et de vider mon portefeuille jusqu’à n’y laisser pas quelques mauvais impromptus, qui n’étaient pas nés pour vivre aussi longtemps que leurs frères. » REF
Par goût, ensuite, puisque la diversité du livre ainsi formé correspond aux attentes du public mondain.
Modalités de présentation
Sans établir une typologie stricte des ouvrages mêlés, on peut identifier deux grands procédés distincts :
Proposer les différents textes les uns à la suite des autres.
[détails] Le cas le plus typique est celui des
recueils collectifs de
prose et de poésie qui connaissent une vogue particulière dans les années 1650
et 1660, en permettant à de nombreux auteurs de donner une version imprimée de
leurs créations.
Plusieurs ouvrages assemblent également deux ou trois
opuscules en prenant la peine de les mettre en rapport entre eux. Ainsi, un
ouvrage de 1678 rassemble des maximes de Mme de Sablé et des pensées de l’Abbé
d’Ailly. La préface du second texte tient compte de ce qui la précède et
commence ainsi : « Les pensées qui suivent ne sont pas de la même personne qui a
composé les maximes qu’on vient de lire. »
Les ouvrages de type –ana
rassemblent des extraits et pensées diverses de figures importantes des milieux
intellectuels. Le premier de ces ana, le
Scaligerana, imprimé en 1666, est rapidement suivi par d’autres
ouvrages dont le titre fonctionne de la même manière. Le contenu est un recueil
disparate de diverses pensées, lettres, relations, discours critiques, bons
mots, etc… (voir F. Wild, Naissance du genre des Ana, Paris,
Champion, 2007).
Sorel réunit en 1663 plusieurs de ses écrits en
ouvrage nommé Oeuvres diverses ou discours mêlés. On y trouve aussi bien “Le Nouveau Parnasse” et une
loterie céleste que des lettres diverses.
Créer une structure d’encadrement qui ait pour fonction de présenter les
différents contenus [détails] C’est le cas des
Nouvelles nouvelles, mais également des Nouvelles
galantes, comiques et tragiques… (1669) du même Donneau de Visé, qui
assument explicitement l’aspect composite de leur contenu : « J’oubliais de dire
que je n’ai pu m’empêcher de mettre une conversation dans mes nouvelles, encore
qu’elles ne plaisent plus dans ces sortes d’ouvrages. Mais, comme elle est
contre les auteurs satiriques, et que c’est une matière du temps, j’ai cru
qu’elle ne déplairait pas. J’ai parlé contre les satires en général, sans nommer
ni même désigner personne ; et je me suis servi d’un discours que j’ai fait il y
a quelques années, et même avant qu’on eût vu les premières satires du fameux
auteur dont nous en avons maintenant grand nombre, qui peuvent par leur beauté
faire aimer les satires à ceux qui haïssent le plus de pareils ouvrages. Comme
j’étais en train de mettre des pièces détachées dans la même nouvelle où est la
conversation des satiriques, parce que j’ai cru que le sujet le pouvait
souffrir, j’y ai mis deux pièces que je fis l’année passée pour le roi »
(REF)
Le titre La Promenade de Versailles de Mlle de Scudéry (1669) ne désigne en réalité que la
moitié de l’ouvrage. Au milieu du récit, les protagonistes interrompent leur
promenade pour entendre l’“Histoire de Célanire”, qui constitue toute la
deuxième partie du livre.
La Valise ouverte de Préchac (1680) offre un exemple de structure
d’encadrement légère mise en place uniquement pour lier entre elles des lettres
tout à fait diverses.
Un ouvrage comme le Mercure
galant pousse cette logique à son extrémité, puisqu’il insère des
contenus extrêmement divers (à peu près tout ce que produit la littérature
mondaine) dans le cadre d’une lettre à une destinataire
fictive.