Molière mauvais comédien dans le genre sérieux
Dans un passage du t. III des Nouvelles Nouvelles, à l’occasion du long développement consacré à Molière, Donneau de Visé insinue que ce dernier est incapable de tenir un rôle de tragédie :
« Il fit quelque temps la comédie à la campagne et, quoiqu'il jouât fort mal le sérieux […], il ne laissa pas que de devenir en peu de temps, par son adresse et par son esprit, le chef de sa troupe » (p. 219-220).
C’est la première occurrence de cette idée dans un document imprimé. Tout au plus
pouvait-on auparavant lire dans Les Véritables Précieuses, parues en janvier 1660, que la troupe de Molière, dans
son ensemble, était inapte au genre sérieux. [extrait] LE
BARON.
Ce défaut est en un mot que les comédiens ne jouaient rien
qui vaille, et qu’ils ne sont bons à rien qu’à jouer la farce.
LE POÈTE.
Il est tout vrai que si l’Hôtel de Bourgogne eût joué
cette pièce, elle eût extrêmement réussi ; car c’est un merveilleux
assaisonnement à une pièce que les bons comédiens, et tels malgré toute
la fortune de leur nom, tels malgré la force de leur brigue, ne
réussiraient pas comme ils font, si l’on jouait leurs pièces à
Bourbon.
(p. 51-53)
A la suite des Nouvelles Nouvelles, en revanche, l’incapacité foncière du comédien Molière en-dehors des rôles de farceur deviendra un lieu commun, constamment invoqué lorsqu’il s’agit de le discréditer. Plusieurs textes des années 1663-1664 y feront référence :
L’Impromptu de l’Hôtel de Condé de Montfleury
[déplier] ALCIDON
« Il est vrai
qu'il récite avec beaucoup d'art.
Témoin dedans
Pompée alors qu'il fait César.
Madame,
avez-vous vu, dans ces tapisseries,
Ces héros de romans
?
LA MARQUISE
Oui.
LE MARQUIS
Belles railleries !
ALCIDON
Il
est fait tout de même : il vient le nez au vent
Les pieds
en parenthèse et l'épaule en avant,
Sa perruque qui suit
le côté qu'il avance,
Plus pleine de laurier qu'un jambon
de Mayence,
Les mains sur les côtés, d'un air peu négligé,
La tête sur le dos comme un mulet chargé,
Les yeux
fort égarés ; puis, débitant ses rôles,
D'un hoquet
éternel sépare ses paroles,
Et lorsque l'on lui dit : "Et
commandez ici",
Il répond : "Connaissez-vous César de lui
parler ainsi ?
Que m'offrirait de pis la fortune ennemie,
A moi qui tiens le sceptre égal à l'infamie ?
[…]
LE MARQUIS
Non, pour le sérieux c'est un
méchant acteur,
J'en demeure d'accord, mais il est bon
farceur. »
La Guerre comique de La Croix [déplier] « Molière joue un rôle tragique aussi bien qu’aucun
comédien qui soit au monde.
ALCIPPE.
Le sérieux
n’est pas son grand talent.
PHILINTE.
Et moi je
soutiens qu’il n’a point d’égal dans le tragique, parce qu’il
joue le comique le mieux du monde. »
La Vengeance des marquis de Donneau de Visé [déplier] « Il est si grand comédien qu’il a été contraint de donner le rôle du Prince jaloux à un autre, parce que l’on ne le pouvait souffrir dans cette comédie qu’il devait mieux jouer que toutes les autres, à cause qu’il en est l’auteur. »