Molière « farceur »
A la suite du succès de ses premières comédies, au début des années 1660, Molière sera de
manière récurrente stigmatisé comme un farceur. Le terme s’entend à la fois comme auteur
de farces, c’est-à-dire de productions scéniques qui ne méritent pas l’appellation de
théâtre , et comme comédien dont
le métier repose sur des procédés de bateleur.
Ces critiques sont fréquemment
associées à d’autres reproches, portant sur l’incapacité de Molière à jouer un rôle
tragique, ou ses
emprunts massif au théâtre italien.
Le constat de cette propension à la farce est tout d’abord effectué à plusieurs reprises par Somaize dans ses Véritables Précieuses :
« ils ne sont bons à rien qu’à jouer la farce » est-il dit à propos de toute la troupe de Molière ;
« j’y résistai d’abord, ne voulant point passer pour un farceur, mais il me représenta que toutes les personnes les plus illustres de Paris allaient tous les jours voir la farce au Petit-Bourbon, et me persuada si bien que les siennes étaient aussi honnêtes que plusieurs de celles que Mascarille a faites »
« Sachez donc, avant que je sorte, que puisque Mascarille vous rend visite, vous devez bien me souffrir, que s’il s’est acquis par ses farces la réputation d’avoir de l’esprit, que j’en fais aussi bien que lui sans l’aide des Italiens, et qu’enfin si la veuve de Guillot-Gorju, mon maître et le sien ne lui eût vendu les mémoires de son mari, ces farces ne lui eussent jamais donné tant de gloire ».
Il est réitéré par le même Somaize dans ses Précieuses mises en vers :
Molière y aurait « ajouté beaucoup par son jeu, qui plut à assez de gens pour lui donner la vanité d’être le premier farceur de France. C’est toujours quelque chose d’exceller en quelque métier que ce soit, et pour parler selon le vulgaire, il vaut mieux être le premier d’un village que le dernier d’une ville, bon farceur que méchant comédien. »
Donneau de Visé le reprend à son compte dans les Nouvelles Nouvelles :
« Il fit des farces, qui réussirent un peu plus que des farces et qui furent un peu plus estimées dans toutes les villes que celles que les autres comédiens jouaient ». (p. 220)
Un personnage de La Guerre comique de La Croix reviendra à la charge :
« Molière auteur ! Il n’y a que de la superficie et du jeu. Sa présomption est insupportable, il se méconnaît depuis qu’on court à quatre ou cinq farces qu’il a dérobées de tous côtés. »
Cette mise en cause radicale des compétences de Molière connaîtra son intensité maximale
durant les années 1660-1663,
au cours desquelles le public parisien découvre avec stupeur les comédies du nouveau
prodige du théâtre français.
Par la suite, les accusations de ce type seront
circonscrites au contexte clairement polémique de la création du Tartuffe
et du Festin de pierre.