Molière « gâte-métier »
Accusé de recourir aux procédés de la farce, Molière est dénoncé comme un danger pour la
qualité du théâtre français. Ses comédies scurriles imposent un modèle, qui remet en cause
les progrès que la scène française a connus à la suite de l’action de Richelieu.
Le
terme de « gâte-métier » est utilisé à cette occasion
Le reproche est formulé par
Robinet, dans son Panégyrique de L’École des femmes :
CELANTE.
Ce n’est point son École seule que je
veux critiquer. Ce sont tous ses ouvrages de théâtre, depuis ses Précieuses
ridicules. Je ne veux point déguiser mes sentiments : j’aime la belle comédie
et je ne saurais souffrir qu’à cause qu’il n’a pas une troupe propre à la jouer sur son
théâtre et qu’il est lui-même le plus détestable comédien qu’on ait jamais vu, il la
détruise par des rhapsodies qui font que chacun déserte son parti, et qui obligent
jusques à l’unique et incomparable Troupe Royale de la bannir honteusement de sa
pompeuse scène, pour y représenter des bagatelles et des farces qui n’auraient été
bonnes en un autre temps qu’à divertir la lie du peuple dans les carrefours et les
autres places publiques, tâchant ainsi d’éviter le titre d’ancienne, qu’on lui donne au
Louvre, à cause que ces grands poèmes ne sont plus à la mode, c’est-à-dire de la qualité
de ceux de Zoïle [= Molière].
BÉLISE.
En effet, il a ruiné le plus beau et le plus honnête
divertissement que nous eussions ; et j’ai horreur des monstres auxquels son exemple a
donné naissance sur tous nos théâtres. Ne sont-ce pas d’agréables choses que des
Secrétaires de Saint-Innocent, les Miracles du mépris,
L’Intrigue des carrosses… » (p. 35-36)
[…]
De quoi, Mesdames, accusez-vous le malheureux Élimore, qu’il vous plaît de baptiser ainsi du nom de Zoïle ?
BÉLISE.
Célante l’accuse de détruire la belle comédie.
CÉLANTE.
Oui, je l’en accuse, et je ne lui pardonnerai jamais cet
attentat.(p. 46)
[…]
Vous avez oublié quantité de belles choses qui eussent encore relevé sa louange. Vous deviez remarquer que l’on l’appelle partout un gâte-métier, à cause que tous les autres de sa profession ne font plus rien depuis qu’il s’est avisé de représenter les actions humaines. (p. 73-74)
La Croix dans sa Guerre comique :
ALCIDOR.
Les auteurs n’ont-ils pas intérêt de l’étouffer ? S’ils
n’ont pas le talent de réussir dans le comique comme lui, et s’il est cause qu’on
méprise les pièces sérieuses, que deviendront-ils ?
ALCIPPE.
Ils le regarderont faire. Ma foi les grands hommes ne
travaillent à présent que pour la gloire. Il n’y a plus d’argent pour eux.
ALCIDOR.
Cela est sensible au dernier point, quitter les grandes
pièces pour des farces !“
[…]
Il a rempli la place, Madame, on ne pourrait souffrir les autres quand ils seraient mieux que lui ; on ne trouve rien bon que ce qui vient de Molière, on appelle cela un gâte-métier en bon français.