Un nouveau mode de production
La production imprimée d’écrivains tels Antoine Baudeau de Somaize, Jean Donneau de Visé, Marie-Catherine Desjardins ou Edme Boursault présente la caractéristique d’avoir été conçue pour répondre aussi précisément que possible aux goûts et aux intérêts d’un public particulier, celui de la cour et des milieux qui s’efforcent de l’imiter.
Caractéristiques d’une nouvelle stratégie
Cette stratégie implique une production soutenue (six ouvrages différents pour Somaize en 1660, cinq ouvrages entre 1663 et 1664 pour Donneau de Visé), diversifiée (les trois auteurs cultivent une multiplicité de genres, du théâtre à la fiction narrative, en passant par les multiples possibilités qu’offrent les recueils mondains) et inventive (tous trois explorent des voies innovantes sur le plan des contenus et des formes de leurs créations), qui tient compte :
des genres à la mode
Les Oeuvres de Mlle Desjardins font la part belle à l’élégie, qui connaît un succès renouvelé depuis la fin des années 1650. Dans le tome II des Nouvelles Nouvelles, Donneau de Visé insère lui aussi deux poèmes appartenant à ce genre.
L’attrait du public pour une littérature de proximité fait des lettres intimes un genre prisé. Mlle Desjardins donne ainsi des Lettres et billets galants en 1667 et un Recueil de quelques lettres ou relations galantes en 1668. Mais c’est Boursault qui fait le plus grand profit de cette mode épistolaire, avec ses Lettres d’obligation, de respect et d’amour parues pour la première fois en 1669 et rééditées de nombreuses fois par la suite.
des sujets correspondant étroitement aux préoccupations du public :
La thématique du favori, figure centrale de la vie de cour, est exploitée par Mademoiselle Desjardins dans une pièce portant ce titre, jouée par la troupe de Molière en 1665.
Les questions philosophiques mondaines touchant à la manière d’agir dans le monde, à la recherche du bonheur et au gouvernement des passions sont traitées au sein d’ouvrages de fiction. Ainsi le rôle de la fortune dans la réussite d’une entreprise est questionné dans L’Étourdi de Molière (1659) et les “Succès de l’Indiscrétion” des Nouvelles Nouvelles (1663) de Donneau de Visé. Les multiples facettes du sentiment amoureux sont examinées dans les romans, nouvelles, poèmes et pièces de théâtre de Mlle Desjardins.
Le thème de la jalousie, mis notamment au goût du jour par la nouvelle position que revendiquent les femmes dans la société des années 1660, est mis à profit entre autres par Donneau de Visé dans son “Jaloux par force” (Nouvelles Nouvelles, t. III), par Boursault dans son Jaloux endormi (1661) et, bien évidemment, par Molière dans son Cocu imaginaire, son Ecole des maris et son Ecole des femmes.
de l’actualité des événements de la cour et des créations littéraires :
On constate l’émergence de nouvelles pratiques plagiaires, qui consistent à rebondir sur l’actualité littéraire la plus immédiate pour proposer au public des produits imprimés rapidement disponibles. Un des procédés consiste à reprendre un texte dont le succès se dessine et à le présenter sous une forme qui lui confère un semblant de valeur ajoutée. Ainsi, en 1660, avant même que Molière ait pu mettre sous presse son Cocu imaginaire, Donneau de Visé avait mis sur le marché une version de la même pièce à laquelle il avait ajouté des arguments résumant chaque scène. Il avait en même temps fait imprimer une Cocue imaginaire, simple inversion des vers de la pièce de Molière destinée à en créer un pendant féminin.
Les événements de la vie de la cour fournissent l’occasion de productions diverses. Ainsi, le grand carrousel organisé les 5 et 6 juin 1662 pour la naissance du Dauphin donne lieu à une narration de cet événement en vers par Mademoiselle Desjardins. Madeleine de Scudéry, qui adopte progressivement ce mode de production, donne pour cadre au prologue de Célinte (1661) la toute récente entrée du roi et de la reine à Paris. Plus tard, lorsque Versailles deviendra le nouveau lieu de prestige par excellence, elle écrira La Promenade de Versailles (1669). Ce titre fonde précisément son succès sur l’actualité : plus de la moitié de l’ouvrage est en effet consacrée à une nouvelle sans rapport avec la demeure royal réaménagée.
De même, les événements militaires et les succès du roi sont l’occasion de pièces de circonstances formatées pour le public mondain, et qui connaissent un franc succès. C’est le cas, notamment, du Dialogue sur le voyage du Roi en Franche-Comté (1668) de Donneau de Visé.
Autour du succès d’une oeuvre se forme rapidement une quantité de textes dérivés. L’exemple le plus célèbre est le succès des Précieuses ridicules de Molière qui donne lieu à une série d’ouvrages de Baudeau de Somaize dans les années 1660-1661, tels que les Véritables précieuses, Le Procès des précieuses ou encore le fameux Dictionnaires des précieuses.
Les “querelles” de L’Ecole des femmes ou de Sophonisbe sont exemplaires de ces nouveaux modes de productions. Le “buzz” créé autour de ces oeuvres par une réception problématique, parfois à l’incitation de l’auteur lui-même, suscite une production variée de pièces (théâtre, pamphlets…) qui alimente et amplifie l’événement. C’est l’occasion de mettre sur le marché des imprimés rémunérateurs, mais également, pour les écrivains impliqués, de faire connaître leurs qualités de polémiste. Donneau de Visé s’illustrera dans la querelle de Sophonisbe par trois pamphlets contre l’Abbé d’Aubignac (Défense de Sophonisbe, de Sertorius et d’Oedipe) et dans la “querelle de L’Ecole des femmes” par le biais de Zélinde. Dans le cadre de la même querelle, Boursault publiera en 1663 Le Portrait du peintre.
Ce mode de production exacerbe le procédé que Molière venait d’exploiter avec un succès retentissant en 1659 à l’occasion de la création des Précieuses ridicules, qui marquent, à ce titre, un tournant décisif. Il s’insère également dans la perspective plus générale d’une littérature qui épouse un idéal de naturel, au sens où elle joue avec les usages et valeurs familiers et immédiats du public auquel elle se destine.
Le moyen de parvenir
Autre point commun : ces auteurs recherchent une position ou une promotion à la cour, et leurs publications sont la composante fondamentale de cette stratégie. De fait, outre le succès public - et donc, financier - qu’elle est à même de susciter, ce type de production constitue, pour son auteur, un “moyen de parvenir”. En publiant ses capacités de “professionnel des lettres” il peut en effet espérer gravir les échelons et obtenir, lorsqu’il est un homme, des charges ou des positions valorisées :
Edme Boursault tente à deux reprises cette voie :
En 1661, il obtient pour sa gazette hebdomadaire une pension de 2000 livres - soit l’équivalent de celle que touche Pierre Corneille- , qu’il perdra rapidement.
Il vise également la charge de précepteur du Dauphin, par le biais d’un ouvrage qui accommode l’histoire au goût du moment (La Véritable Etude des souverains, 1671) et du soutien du duc de Montausier, qui distingue sa plume.
A la suite, vraisemblablement, de ses multiples publications de 1660, Antoine Baudeau de Somaize devient le secrétaire de Marie de Mancini (nièce de Mazarin), qu’il suit lorsqu’elle retourne à Rome en 1663.
Donneau de Visé, quant à lui, s’efforce d’obtenir l’une des charges les plus prestigieuses, celle d’historiographe. Il publie d’abord isolément des contenus d’actualité à vocation historiographique (Dialogue sur le Voyage du Roi dans la Franche-Comté) avant de fonder, en 1672, un ouvrage périodique qui lui permet de monopoliser le secteur des ouvrages d’actualité : le Mercure galant. Il en tirera régulièrement des récits de siège ou de batailles qu’il publiera à part… Par le biais de son périodique, il obtiendra en 1684 une pension de 6000 livres, une des plus importantes accordée à un homme de lettres.