Pont-neuf
Achevé en 1607, le Pont-Neuf est un lieu essentiel de passage et de rassemblement, de circulation de l’information, et de publication orale et écrite. L'abondance des nouvelles qui s'y diffusent y attire particulièrement les nouvellistes.
Un lieu d’opinion publique
Plaque tournante pour la diffusion de libelles, pamphlets et gazettes, le Pont-Neuf constitue en effet le lieu par excellence où l’on vient s’informer des nouvelles, comme le relate Colletet :
Celui qui lit plus promptement
Prête à l’autre un
commencement.
Un autre curieux demande
Une Gazette de Hollande,
Et
celui-ci d’Anvers.
(Les Tracas de Paris…, Paris, Rafflé, 1653,
p. 81)
Sa fréquentation élevée en fait un lieu d’opinion privilégié : les rumeurs s’y créent, les informations s’y échangent. En outre, les mouvements de foule peuvent y être violents, comme lors des débuts de la Fronde ; c’est dans ce centre névralgique de la circulation des idées (c’est ainsi que le décrit la mazarinade L’Interprète des écrits du temps) qu’en août 1648, les premières émeutes se produisent (voir à ce propos E. Fournier, p. 172sq).
A l’époque des Nouvelles Nouvelles, le Pont-Neuf est le lieu d’opinion, d’échange d'informations, dont le contrôle est problématique, ainsi que le rappelle Somaize dans son Dialogue de deux précieuses… en 1660 :
Ne savez-vous pas que le peuple tient conseil d’État au coin des rues
et sur le Pont-Neuf, qu’il y marie les grands du royaume, qu’il y ordonne à son gré des
bâtiments du Louvre et qu’il y gouverne non seulement la France, mais encore toute
l’Europe et qu’enfin il est de toute impossibilité de l’empêcher de parler ?
(Cité
de Micheline Cuénin (éd.), Les Précieuses ridicules…, Genève, Droz, 1973,
p. 161)
Notons qu’à la fin du XVIIIe siècle encore, Louis-Sébastien Mercier écrira que ce haut lieu de la vie parisienne constitue “ce que le coeur est dans le corps humain : le centre du mouvement et de la circulation”.
Sous la Régence d’Anne d’Autriche déjà, puis sous Louis XIV, l’administration tente de contrôler l’information qui se diffuse sur le Pont-Neuf. Une interdiction d’y débiter des livres, requise d’abord par les libraires, est appliquée dans toute sa rigueur vers 1650. Sous Louis XIV, la police veille étroitement à ce que les pièces qui sont y sont mises en vent ne fassent pas de tort à l’image royale. (Voir Edouard Fournier, Histoire du Pont-Neuf, p. 152sq et p. 211sq.)
Un lieu de diffusion et de publication
De manière plus générale, la forte fréquentation du Pont-Neuf en fait un endroit idéal pour présenter au public diverses productions : de nombreux textes mentionnent les chanteurs et auteurs qui s’y produisent. Ainsi, dans son Histoire du Pont-Neuf (1862), Edouard Fournier rapporte qu’un poète comme Jacques de Cailly y débite ses poésies (p. 149). Sous la Fronde, l’endroit constitue l’un des principaux lieux de diffusion des mazarinades, au point qu’en 1649, un pamphlet qualifie le Pont-Neuf de bibliothèque commune de Paris.
Vendeurs de pièces diverses devant la statue d’Henri IV. / © Musée Carnavalet, Paris
Les productions qu’on y débite sont disqualifiées : dans son Barbon (1648), Guez de Balzac discrédite ainsi la poésie du pédant : “S’il y a quelque muse qui se mêle d’une si étrange espèce de poésie, elle est d’un ordre inférieur à celle qui compose ce qui se chante sur le Pont-Neuf.” (p. 61). Saint-Amant, au tournant des années 1640 et 1650, ironise aussi bien sur les productions qui y sont débitées, que sur leurs auditeurs :
Les rares chansons du Pont-Neuf
Épousent les rares libelles
:
On les oit entre huit et neuf
Les rares chansons du Pont-Neuf.
Leur
papier est moins blanc qu’un oeuf,
Mais mon laquais les trouve belles,
Les
rares chansons du Pont Neuf
Épousent les rares libelles.
(Les
Nobles triolets)
Enfin, reprenant cette idée, l’Art poétique de Boileau associera encore au Pont-Neuf les productions et les publics de qualité inférieure :
Qu’il [le mauvais auteur de théâtre] s’en aille, s’il veut, sur deux
tréteaux monté,
Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais
assemblés jouer ses mascarades. (Chant III)
On notera encore que l’un des personnages du Panégyrique de l’Ecole des femmes, de Charles Robinet, texte contemporain des Nouvelles Nouvelles, convoque le Pont-Neuf comme repoussoir :
Je ne veux rien dire des vers [de L’Ecole des femmes] dont la plupart
n’ont guère plus de cadence ni d’harmonie que ceux des airs du Pont-Neuf, n’étant qu’une
prose rampante, mal rimée en divers endroits.
(éd. de 1883, p. 51-52).
Mais le Pont-Neuf est aussi un lieu de publication des litiges et des affaires juridiques. Saint-Amant encore, qui y publia une chanson satirique sur Condé, fut roué de coup en public, précisément en ce même endroit, (voir Fournier, p. 212). Guy Patin, dans sa correspondance, avec André Falconet, mentionne le Pont-Neuf comme lieu d’exécution des malfrats (lettre du 12 décembre 1659). De même, en 1662, dans le cadre de l’opération de contrôle de l’information menée par Louis XIV, c’est le lieu choisi pour y condamner un nouvelliste à la main, comme le rapporte E. Hatin dans son Histoire politique et littéraire de la presse en France (1859), section “introduction historique” :
“Les registres du parlement portent, entre plusieurs autres condamnations, à la date du 9 décembre 1661, sentence contre un nouvelliste, Marcelin de Laage, qui fut condamné à être fustigé et banni de la ville de Paris pour cinq ans, avec défense de récidiver, et ce à peine de la vie. Un autre arrêt, du 24 septembre 1663, condamne Elie Blanchard, natif de Roué (Maine), pour avoir composé et écrit des gazettes, à être battu et fustigé au milieu du Pont-Neuf, ayant pendus au cou deux écriteaux, devant et derrière, contenant ces mots : Gazetier à la main.“ (voir la sentence du Châtelet)
Il est enfin un lieu de célébration pour les événements politiques : c’est là que se déroule une importante manifestation officielle pour la naissance de Louis XIV. De même, la nouvelle des victoires militaires y est diffusée, ainsni que le relève Saint-Amant lorsqu’il écrit à Gaston d’Orléans :
Notre Pont-Neuf qui a pourtant de l’âge […]
De tes vertus
s’entretient tous les jours.
Là, son aveugle, à gueule ouverte et torse,
A
voix hautaine, et de toute sa force,
Se gorgiase à dire des chansons,
Où ton
bonheur trolle en mille façons.
(Épître heroï-comique à Mgr. le duc
d'Orléans, Paris, Quinet, 1644, p. 9)
La statue de bronze et l’iconographie du Pont-Neuf
Au centre du pont trône une immense statue équestre d’Henri IV en bronze, élevée par Jean de Bologne et Pierre Tacas en 1613. L'endroit connaît une telle fréquentation en 1662 que, pour protéger le monument, la petite balustrade précédemment érigée par Richelieu doit être secondée par un grillage, sur l'intervention d'un certain Dupin (voir les Nouvelles Nouvelles, t. II, p. 246).
© Musée Carnavalet
(© Musée national du château de Pau / Jean-Yves Chermeux)
Le Pont Neuf, avant et après la pose des grillages.
Le musée Carnavalet, à Paris, conserve deux tableaux représentant le Pont-Neuf au milieu du XVIIe siècle :
Sur chacun des tableaux, on observe, à gauche et à droite de la statue d’Henri IV, plusieurs attroupements. Ainsi, à coté d’un groupe de joueurs, on remarque plusieurs hommes assemblés, absorbés dans une discussion, et qui pourraient bien représenter des “pelotons” de nouvellistes :
Non loin d’eux on peut reconnaître des lecteurs ou des vendeurs de pièces isolées, poèmes, ou gazettes :
Le Pont-Neuf a en outre été représenté sur des gravures. L'une d'entre elles, œuvre de Claude Chastillon (ca. 1613) permet de prendre connaissance de la configuration de l’Ile Saint-Louis à son extrémité :
© Musée national du château de Pau / Jean-Yves Chermeux
Cette estampe de Nicolas Guérard, quant à elle, donne à voir la cohue qui règne sur le premier enjambement du pont (on discerne la statue au second plan) :
© Musée Carnavalet, inv. G 31882