L’échange d’informations
L’obtention et la diffusion de « nouvelles » (au sens d’”informations” inédites) constituent rien moins que l’une des occupations principales de toute personne évoluant dans les sphères affairistes ou politiques de l’Ancien Régime. Il s’agit, pour les individus concernés :
De se tenir au courant de tout ce qui peut intéresser ses propres affaires et celles de ses amis et ennemis.
D'entrer en possession d'informations qui peuvent être utiles à d’autres, afin de les mettre à disposition et ainsi de tirer parti de l’échange établi.
Le commerce des informations
L’accès à des renseignements fiables et actualisés sur les divers domaines
qui constituent la vie sociale et politique n’est pas toujours possible :
les informations constituent donc une valeur capitale. Non seulement, parce
qu’il est nécessaire d’être informé de l’actualité, mais également, et
surtout, parce qu’elles déterminent la valeur d’un individu à l’intérieur
d’un réseau social. En effet, celui qui se trouve à même de fournir des
nouvelles véridiques et inédites à ses correspondants leur rend un service
important, et valorise donc son statut. L’information constitue par
conséquent un véritable marché, où les nouvelles que l’on échange gagnent ou
perdent de la valeur en fonction de leur nouveauté et de leur fiabilité.
[Un cas type : Valentin Conrart] La
correspondance de Valentin Conrart constitue la parfaite
illustration de cette activité. Lors du soulèvement de Naples en
1647, il fait part à son correspondant André Félibien de son désir
de nouvelles :
« Il y a tant de choses étranges dans le
soulèvement de Naples, que plus on en apprend de nouvelles, et plus
on désire d’en savoir. C’est pourquoi je vous demande la
continuation de ce que vous en apprendrez de véritable. »
Quelques lettres plus tard, Conrart illustre l’importance
fondamentale de disposer d’informations neuves, condition nécessaire
pour obtenir une valeur d’échange :
« Je ne reçus qu’hier votre
lettre du 21 du mois passé, de sorte qu’elle ne m’a fait que
confirmer les nouvelles que j’avais sues déjà, et que j’eusse pu
apprendre à d’autres, si elle m’eût été rendue trois jours plus
tôt. »
Enfin, il est très important que les nouvelles débitées
soient véridiques, sans quoi la crédibilité de celui qui les détient
est mise en cause :
« Le conte que je vous ai mandé qu’on
m’avait fait de Savoie s’est trouvé purement fabuleux. C’est
pourquoi il ne le faut point débiter ».
L’importance des nouvelles est telle qu’elles peuvent à elles seules faire
avancer une carrière et permettre de se rapprocher des plus hautes sphères
du pouvoir. Cette réalité, que raille le pamphlet Paris
ridicule (1668, posthume) de Claude Le Petit, qui reproche
aux courtisans de débiter des nouvelles, est attestée notamment par la
correspondance de l’Abbé Bernou. [dépliable] En poste
à Rome, Bernou écrit dans ces termes à son correspondant Eusèbe
Renaudot :
« Si vous pouviez m’envoyer une copie des nouvelles
que vous écrivez quelquefois à vos amis, cela me donnerait lieu de
bien faire ma cour à quatre ou cinq personnes et je vous promets que
j’en userai avec discrétion. » (11 mai 1683).
Et si Renaudot prend la peine de lui en envoyer,
c’est qu’il sait qu’elles lui seront également profitables. Bernou
n’hésitera pas, en effet, à promouvoir la qualité des informations
de son correspondant :
“Nous en aurons à l’avenir de
considérables d’Angleterre, où j’aurai occasion de vous faire valoir
vous et vos bonnes correspondances auprès de M. Le Cardinal.
Surtout, s’il s’y fait des conversions de grands seigneurs ou
d’autres, faites m’en part.“ (17 avril 1685)
Il suffit, enfin, de relire les correspondances a priori privées, telles que celles de Mme d’Huxelles ou de Mme de Sévigné, pour observer la place essentielle que prennent, sous couvert de badinage, les nouvelles, et qui se traduit par un nombre impressionnant de variations sur un motif comme : « Je vous avoue que j’ai une extraordinaire envie de savoir de vos nouvelles. » (Sévigné, lettre du 20 février 1671).
Circulation de l’information
Différents médiums permettent de faire circuler ces informations.
La transmission orale constitue évidemment un mode de diffusion
essentiel. Débitées de façon convenable (et non comme le font les
nouvellistes que met en scène Donneau de Visé), les nouvelles sont
en effet “le sujet le plus ordinaire de la conversation”, comme
l’écrit encore l’Abbé Renaud à la fin du siècle (Manière de
parler la langue française selon différents styles,
Lyon, 1697, p. 150). [exemple]Le
Chemin de la Fortune (1663), met ainsi en scène
des amis devisant des mêmes sujets que les nouvellistes de
Donneau de Visé, sans qu’ils ne soient aucunement ridicules
: “[…] les uns rapportant ce qu’ils avaient lu dans les bons
livres, ou ce qu’ils avaient observé dans le monde sur les
sujets qui étaient mis en question et les autres faisant le
récit de quelques nouvelles du temps.” (Le Chemin de
la Fortune, 1663, p. 2)
L’importance de l’oralité
fait des lieux publics fortement fréquentés, des espaces de
circulation privilégiés de l’information : le Pont-Neuf, les Jardins du
Luxembourg, le cloître des Grands Augustins, Le Palais de
Justice, sont
autant d’espaces où des individus susceptibles de disposer de
nouvelles se croisent et entrent en contact.
La correspondance constitue l’autre moyen essentiel de diffusion de
l’information. De même que l’on s’attend aujourd’hui à recevoir
chaque matin le journal, de même, l’on s’attend à recevoir, à chaque
ordinaire (jour de poste), des nouvelles de la part de ses
correspondants. Ces nouvelles constituent rien moins que la raison
d’être des coûteuses correspondances entretenues.
[développement]Les Nouvelles
Nouvelles l’illustrent, dans la lettre
reproduite au t. II, p. 287, lorsque le correspondant
d’Ariste lui écrit : “Voilà tout ce que je vous puis écrire
cet ordinaire, pour des raisons que je ne vous puis mander.
Mais comme je sais bien que je ne satisfais pas à votre
curiosité et que je ne vous paie pas le tribut accoutumé”.
On rappellera au passage que le port était
traditionnellement payé par le destinataire et non par
l’expéditeur.
Autre exemple, par la négative, du
lien essentiel entre nouvelles et correspondance, cette
précision de l’Abbé Bernou à Eusèbe Renaudot : « Je ne vous
écrirai pas de nouvelles cet ordinaire parce que je n’ai vu
personne qui ait pu m’en apprendre. »
Une
comptabilité épistolaire s’instaure entre les
correspondants. Une lettre envoyée, c’est une lettre à
recevoir en échange, et de taille équivalente. L’Abbé
Bernou, encore : “Ce serait le sujet d’une bien longue
lettre que j’écrirai à M. De Maubuisson s’il veut me
promettre de me faire réponse en pareil volume.“
On comprend dès lors que Lisimon, personnage des
Nouvelles Nouvelles, prétende disposer
d’un réseau de correspondants étendu (t. II, p. 214-215) :
l’importance de ce système de relations influe directement
sur le nombre et la qualité des nouvelles. En outre,
l’échange de lettres avec des amis résidant à l’étranger
permet d’être informé des détails particuliers sur ce qu’il
advient dans les divers pays d’Europe. C’est à cet enjeu que
prétendra satisfaire le Mercure galant, dans
sa première livraison de 1672 :
“vous devez aisément
être persuadée que parmi les nouvelles de tant de gens qui
ont de différents emplois et de différents commerces dans le
monde, il y en peut avoir beaucoup de curieuses et de
véritables : les uns apportent des lettres de leurs amis,
les autres de leurs parents ; les autres ont commerce avec
quelques commis des ministres, et les autres avec des
attachés au service des princes, et qui sont même
quelquefois dans leur confidence. Il s’en trouve aussi qui
ont des parents auprès des ambassadeurs que le roi a dans
les pays étrangers ; et il y en a même qui connaissent ceux
des autres souverains qui sont auprès de Sa Majesté et
ceux-là apprennent souvent d’eux beaucoup de choses qu’il
serait difficile de savoir par d’autres voies. J’ai vu
pendant cette campagne des nouvellistes qui avaient toutes
les semaines deux fois des lettres de banquiers de Hollande
qui apprenaient des choses fort curieuses, et qui ne
pouvaient venir de l’armée que longtemps après, parce que
les courriers n’étaient pas obligés de se détourner comme
ceux qui venaient des armées du roi ; et les nouvellistes
ont su, par ces lettres, le passages de Toluys trois jours
avant qu’il y eût à Paris aucune lettre de la cour qui
parlât de cette belle action qui en contient tant d’autres
mémorables. “
Enfin, la Gazette officielle, ainsi que les autres gazettes et, plus tard, des périodiques tels que le Mercure galant, assurent aussi la diffusion de l’information. Il s’agit toutefois la plupart du temps de nouvelles qui sont publiées sur la base de correspondances reçues : leur valeur d’actualité est donc moindre que celle des informations fournies par les réseaux privés. La forme épistolaire des gazettes s’explique ainsi notamment par le fait que les correspondances constituent le médium naturel de l’échange de nouvelles.