Lectures publiques
La lecture à voix haute effectuée dans le cadre d’un cercle choisi constitue l’une des principales manières de publier (et de consommer, pour le public) un texte de littérature mondaine. Les raisons d’être de ces lectures vont du simple acte sociable (divertir ses amis ou leur faire part d’un texte que l’on apprécie) à la lecture d’une oeuvre par son auteur devant un “auditoire test”.
La représentation de ces pratiques constitue elle-même un procédé littéraire, fort prisé des textes mondains, qui permet d’insérer une pièce au sein d’un ensemble narratif plus vaste, ainsi que d’en orienter la réception.
Une pratique sociable
Lire une pièce au sein d’une compagnie est une pratique sociale extrêmement courante (P. Ariès, G. Duby (s. l. dir.) : Histoire de la vie privée, t. III, Paris, Seuil, 1999 [1985], p. 146-151) : on s’y adonne pour se divertir, pour discuter d’un ouvrage, pour faire entendre des passages qui ont particulièrement plu… La lecture à haute voix est ainsi souvent énumérée aux côtés d’autres divertissements collectifs, comme dans ce passage des Nouvelles françaises de Segrais :
Les bals, la comédie, les promenades, les belles conversations et la
lecture, avec la bonne chaire qu’on y faisait, fournissaient à chacun de quoi contenter
son humeur
(p. 18-19).
Même face à un auditoire bienveillant, la lecture à haute voix d’une pièce constitue une performance à part entière qui met en jeu le statut de l’énonciateur.
Il s’agit d’abord de ne pas faire preuve d’inconvenance en infligeant la lecture d’une pièce à un auditoire qui n’en éprouve aucune envie. Le motif du récitateur importun illustre ce comportement déviant que les nouvellistes des Nouvelles Nouvelles n’ont de cesse d’adopter.
Il s’agit ensuite de s’affirmer comme un bon orateur et d’énoncer la pièce de
manière adéquate. [exemples] Dans les Nouvelles
Nouvelles, Clorante met un point d’honneur à être l’un des meilleurs
orateurs de France. Fait remarquable, cette qualité qu’il s’attribue serait la
marque de sa compréhension profonde de la poésie, et donc, la preuve des
qualités de son esprit : “pour ce qui regarde la lecture, il n’y a personne en
France qui lise si bien les vers que moi et qui en fasse mieux paraître les
beaux endroits, et cela vient de l’amour que j’ai pour la poésie et du plaisir
que j’ai de tout temps pris à lire les beaux ouvrages poétiques.” (t. II, p.
14).
Sans préjuger ici de sa véracité, on peut citer ici cette
anecdote à propos de Corneille : “M. Corneille reprochait un jour à M. de
Boisrobert qu'il avait mal parlé d'une de ses pièces étant sur le théâtre. -
Comment pourrais-je avoir mal parlé de vos vers, lui dit M. de Boisrobert, les
ayant trouvé admirables, dans le temps que vous les barbouilliez en ma présence?
Il voulait dire par là que M. Corneille lisait mal ses vers qui étaient
d'ailleurs très beaux lors qu'on les entendait dans la bouche des meilleurs
acteurs du monde.” (Menagiana, p. 303)
Les ouvrages mondains, en tant que supports de textes pensés pour l’échange, fournissent une matière essentielle à ce type d’échanges.
Un procédé littéraire
Ces pratiques sont à leur tour représentées au sein des textes littéraires. Nouvelles,
poèmes, extraits de pièces de théâtre sont ainsi proposés dans le cadre d’une récitation
publique (parfois une pièce apprise par coeur, parfois une lecture) qu’effectue un
personnage fictif. Outre de mimer des pratiques réelles et donc, de créer une proximité
avec le lecteur, ce topos littéraire mondain permet de donner un cadre énonciatif
justifiant et accompagnant la publication d’une pièce au sein d’un ouvrage
[exemples]La Précieuse (1658) de l’Abbé de
Pure offre de nombreuses pièces insérées qui sont énoncées au gré de lectures
publiques (par exemple, la lettre de Gename, p. 174sq).
Dans la préface de ses Nouvelles galantes, comiques et
tragiques (1669), Donneau de Visé reconnaîtra explicitement avoir inséré
un autre texte de sa composition, le Dialogue sur le voyage du roi dans la
Franche-Comté, qui n’a, en soi, aucun rapport avec l’ouvrage. C’est à
l’occasion d’une scène de lecture que l’insertion est effectuée.
dans ses Véritables
précieuses (1660), Somaize représente une lecture publique où il introduit des extraits d’une tragédie ridicule, en reprenant le
modèle de la prestation de Mascarille dans les Précieuses ridicules
(sc. IX).
La mise en scène de l’énonciation publique permet également de décrire les réactions de l’auditoire, et donc de mettre en scène la réception de la pièce selon des critères décidés par l’auteur. Les auditeurs sont ainsi souvent représentés en train de s’exclamer sur la qualité de la pièce (“Voilà qui est beau”), ou de débattre de son contenu - voire, de procéder à sa critique - comme dans la très représentative “Conversation des pointes ou pensées” des Nouvelles Nouvelles, où les nouvellistes commentent plusieurs fragments d’une tragédie.
Ce double procédé (énonciation d’une pièce et mise en scène de sa réception) fait l’objet d’un traitement satirique exemplaire dans le Roman bourgeois (1666) de Furetière :
“Quand cette lecture fut achevée, chacun y applaudit, à la réserve de
Charroselles, qui ne trouvait rien de bon que ce qu’il faisait. Il aurait pu même être
secondé d’Hyppolite, qui voulait donner son jugement de tout à tort ou à travers. Mais
comme il vit que l’examen de cette pièce, s’il s’y engageait une fois, pourrait tirer en
longueur et empêcher le dessein qu’il avait d’en lire aussi une autre de sa façon, il
pria Angélique de lui prêter ce cahier pour en faire une copie. “
(p. 330-331)
Enjeux des lectures publiques
La lecture publique d’un ouvrage peut également avoir pour objectif de tester sa réception auprès d’une audience sélectionnée. L’objectif, pour l’auteur, est à la fois de s’ouvrir la possibilité de corrections sur le texte avant sa représentation ou son impression en fonction des réactions qu’il suscite, et de lui faire acquérir une notoriété précédant sa mise au jour.
Avant leur première représentation, les pièces de théâtre sont ainsi mises à l’épreuve, ce qui constitue déjà une première réception. L’enjeu n’est donc pas négligeable, et il faut choisir avec soin son public.
Dans Les Nouvelles Nouvelles (t. II, p. 276sq), Ariste demande que sa pièce ne soit pas lue par les comédiens, parce qu’il suffit d’un auditoire mal intentionné pour que la réputation de la pièce soit mise en danger.
A l’occasion de son Sertorius (1662), Corneille, dans une lettre à l’abbé de Pure, se fait également l’écho de la nécessité de disposer d’avis de confiance sur sa pièce. Il lui adresse ainsi : “ la prière que j’ai à vous faire de ne vous contenter pas du bruit que les comédiens font de mes deux actes, mais d’en juger vous-même et m’en mander votre sentiment, tandis qu’il y a encore lieu à la correction. J’ai prié Mlle des Oeillets, qui en est saisie, de vous les montrer quand vous voudrez […]” (Lettre du 3 novembre 1661)
Les recueils d’anecdotes font souvent mention de lectures publiques. Ainsi, dans le Menagiana, on rapporte le nom des membres d’un auditoire devant lequel Molière aurait lu son Tartuffe.