Donneau et Molière
Envisagés en termes de “carrière”, les profils de Donneau de Visé et de Molière présentent de nombreux points communs. Issus du même milieu, pourvus tous deux d’une charge à la cour, c’est pourtant par le biais de leurs productions littéraires que l’un et l’autre parviennent à accéder à une situation financière exceptionnellement prospère, en recourant à des stragégies communes à plusieurs de leurs contemporains.
Toutefois, à l’orée des années 1660, qui marquent le début de l’activité de Donneau et l’avènement du succès prodigieux de Molière, le jeune écrivain débutant s’inscrit dans le sillage de son aîné, en cherchant à tirer profit des comédies jouées au Petit-Bourbon, puis au Palais-Royal, selon des modalités diverses :
La première entreprise d’envergure de Donneau de Visé dans le champ littéraire consiste ainsi à faire imprimer à son bénéfice personnel en 1660 Le Cocu imaginaire de Molière, en lui adjoignant des arguments pour chaque scène, et à réitérer l’opération quelques semaines plus tard avec une Cocue imaginaire, pièce strictement identique à la précédente, à la réserve d’une modification superficielle de la configuration des personnages.
Deux des quatre nouvelles des Nouvelles Nouvelles se fondent précisément sur de récents succès moliéresques pour en prendre le contre-pied :
“Les Succès de l’indiscrétion” (t. I) proposent, en reprenant sous un angle différent le sujet de L’Etourdi, un récit démontrant que l’attitude « indiscrète » peut produire des résultats positifs. Donneau de Visé revendique explicitement la proximité de sa nouvelle avec la pièce de Molière dans la préface (p. XVII-XX de cette édition).
En pleine “querelle de l’Ecole des femmes”, “Le Jaloux par force” (t. III) offre une variation sur la thématique des maris jaloux qui est au cœur de la comédie de Molière. Sans nommer explicitement la pièce, il se réfère implicitement au succès de celle-ci pour introduire sa nouvelle en prêtant les propos suivants à un nouvelliste : “Je m’étonne qu’il y ait des jaloux par force, vu que l’on cherche tous les jours tant de moyens pour empêcher les hommes de l’être.”
En outre, les personnages des nouvellistes et les situations de la nouvelle reprennent des procédés typiquement moliéresques, principalement imités des Fâcheux et de L’Ecole des femmes.
Enfin, le tome III consacre plusieurs pages à une critique de L’Ecole des femmes, assortie d’une ébauche de « vie de l’auteur ».
La parution de La Critique de l’Ecole des femmes lui donne, en 1663 encore, l’occasion de composer Zélinde, ou la véritable critique de L’Ecole des femmes.
Dans son “Dialogue des deux miroirs” (Les Entretiens galants d’Aristippe et d’Axiane, 1664), il fait référence à plusieurs reprises à Molière en se référant aux Précieuses ridicules (p. 158 et p. 205) ou à la réputation qu’on prête au dramaturge de peindre au naturel (p. 208).
Dans ses Diversités galantes (1664), il réagit à L’Impromptu de Versailles, à la fois par la “Lettre sur les affaires du théâtre” et par une comédie conçue comme réplique à l’initiative moliéresque, intitulée La Vengeance des marquis.
Ce lien étroit qu’entretient la production de Donneau de Visé avec celle de Molière se concrétisera, à partir de 1666, par une collaboration durable.
C’est, à l’automne 1665, la création par la troupe de Molière de La Mère coquette, pièce concurrente de son homonyme par Quinault, qui offrira la première occasion. L’expérience sera réitérée la même année avec La Veuve à la mode, puis L’Embarras de Godard ou l’Accouchée ; l’année suivante avec Délie ; et elle se poursuivra encore par Les Maux sans remèdes (1669) et Les Maris infidèles (1673).
Donneau de Visé sera également amené à contribuer à la publication des comédies de Molière. Il est l’auteur de la “Lettre écrite sur la comédie du Misanthrope”, jointe à certaines éditions de la pièce, et peut-être de la Lettre sur la comédie de L’Imposteur (1667).