Les Fâcheux
Comédie de Molière créée le 17 août 1661 à Vaux-le-Cicomte, dans le cadre d’une fête somptueuse offerte par Fouquet à Louis XIV, et reprise ensuite à la ville, sur le Théâtre du Palais-Royal, dès le 4 novembre 1661 pour une série de trente-huit représentations. Les Fâcheux continueront à être joués régulièrement dans les années suivantes pour atteindre la somme totale de cent-six représentations jusqu’à la mort de leur auteur, ce qui en fait l’une des comédies favorites de la troupe de Molière.
Œuvre théâtrale mêlée de musique et de ballet, elle est présentée par son auteur et perçue par son public comme une innovation (un « mélange qui est nouveau pour nos théâtres », avertissement de l’édition de 1661), en raison de son effort maximal d’harmonisation des composantes verbale, musicale et chorégraphique (« faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie », ibid.). Raison pour laquelle, en dépit de sa dimension réduite (826 vers pour trois actes), elle constitue généralement à elle seule une séance de spectacle.
Le thème mondain par excellence
La comédie des Fâcheux est construite sur un procédé dramaturgique simple : le défilé d’une série d’extravagants, dont les interventions successives s’avèrent importunes en ce qu’elles empêchent ou retardent la tenue d’un rendez-vous amoureux. Il s’agit au fond de la traduction théâtrale du modèle de la satire IX d’Horace (Ibam via sacra), sur lequel Scarron avait proposé en 1659 une variation remarquée dans sa « Seconde Epître chagrine à Mr d’Elbène » : un personnage porteur des mêmes valeurs que le lecteur se trouve poursuivi par les requêtes d’un importun dont il ne parvient pas à se débarrasser en dépit de tentatives répétées ; il en est finalement délivré par un dénouement inopiné. Molière amplifie ce schéma en multipliant les fâcheux selon le principe de la série, adopté dans les ballets tout au cours du XVIIe siècle.
En focalisant son intrigue sur le motif de l’importunité que lui avait inspiré
l’Epître chagrine à Mgr d'Albret (1659) de
Scarron, Molière propose un sujet qui touche au cœur de la culture mondaine : nulle part
mieux que dans cet espace cultivant les valeurs de sociabilité et d’intégration
harmonieuse à une communauté régie par des normes tacites, le désagrément que provoque
le fâcheux, par ses interventions intempestives et ses propos déplacés, est cause
d’inconvenance et, par voie de conséquence, porteur de potentiel humoristique. En
contrevenant aux usages dans lesquels le public se reconnaît et se définit, le
personnage du fâcheux
permet, par le rire qu’il provoque, d’établir un rapport de connivence entre ceux qui
partagent les mêmes valeurs. L’effet est le même que celui que produisaient les
personnages des Précieuses ridicules, à la différence près que l’extravagance
trouve dans ce cas son origine non dans la tentative maladroite d’imitation, mais dans
l’opiniâtreté des diverses « préoccupations » [= obsessions]
(pour de plus amples
précisions, voir la notice des Fâcheux dans l’édition des Œuvres
complètes de Molière, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2010, t.
I, p. 1266-1278)
Le modèle des Fâcheux et la littérature comique
Ces caractéristiques ont fait des Fâcheux une œuvre qui a profondément redéfini l’idée du comique et influencé toute la littérature qui s’en recommande dans les années suivantes (des petites comédies des années 1660 au Roman bourgeois de Furetière)
Les critères du genre sont désormais les suivants :
Le comique joue de l’effet de proximité à l’égard de l’univers familier et des valeurs du public destinataire. « Vous n'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle » (Molière, La Critique de l’Ecole des femmes).
Le meilleur moyen de créer un tel effet est de représenter des comportements extravagants du point de vue de cet univers et de ces valeurs.
Cette représentation est effectuée sous le prétexte d’une dénonciation de l’extravagance à caractère moral. Le geste humoristique est présenté comme un geste de satire.
Les Nouvelles nouvelles et Les Fâcheux
Les Nouvelles Nouvelles s’inscrivent dans cette nouvelle perspective comique. Leur pratique de l’humour et certains aspects de leur structure de composition sont directement redevables au modèle des Fâcheux. Dans la nouvelle des « Nouvellistes », Donneau de Visé, en effet, se sert de personnages extravagants, parfois importuns, pour offrir à son lecteur une représentation en creux des usages et de l’actualité littéraire mondaine. La démarche se fonde, comme il se doit, sur le cadre idéologique de la satire.
Certains lieux de plaisanteries illustrés par la comédie de Molière sont également exploités dans la nouvelle de Donneau. Les nouvellistes adoptent à plusieurs reprises des comportements ridicules associés à la pédanterie, semblables à celui de Caritidès (acte III, sc. 2). Comme Lysandre (acte I, sc. 3), ils se livrent à des prestations déplacées sur le modèle du récitateur importun (t. II, p. 240). Certains jeux de scène mis en œuvre dans Les Fâcheux ont été par ailleurs transposés dans le mode narratif : ainsi l’impatience incontrôlée des nouvellistes devant l’arrivée retardée de nouvelles fraîches (p. 280-281) transcrit une situation développée à l’acte II, sc. 3 de la comédie.