« Scène de Placidie »
La « scène de Placidie » est la seconde des deux scènes « détachées d’une pièce de théâtre » (p. 131), insérées entre les p. 132 et 157 du texte des Nouvelles Nouvelles. S’étendant sur une centaine de vers, elle est proposée à la suite de la « scène du favori », avec laquelle elle possède un personnage en commun (le Favori), mais n’établit pas une continuité immédiate. Rédigée en alexandrins, elle compte parmi les pièces versifiées qui sont offertes au deuxième tome de l’ouvrage.
De même que la « conversation des soupçons », l’ « Elégie de la prisonnière », le « Dialogue de l’éventail et du busc » ou les « Aventures du prince Tyanès, la scène fait l’objet d’une lecture à haute voix par le biais de laquelle elle est proposée aux autres personnages en tant que pièce remarquable. Le texte, dont l’énonciation est partiellement réitérée (p. 156-157), fait ainsi l’objet d’un commentaire qui ressortit aux procédés d’évaluation de la littérature mis en oeuvre dans la nouvelle de Donneau.
Deux motifs à la mode
La scène confronte l’attitude résignée du Favori, prêt à « aimer sans espoir » pour « obéir aux lois de son devoir » aux exhortations de sa soeur Placidie, qui l’incite à faire fi de ses scrupules.
L’argumentation de cette dernière se fonde sur les exigences de l’ambition que doit nourrir un individu si proche d’accéder au trône. Or un tel éloge de l’audace avait constitué un moment fort de deux pièces marquantes du début des années 1660 :
dans la première scène de Sertorius (1662), Aufide exhorte Perpenna à ne pas se laisser entraver par une « vertu délicate », v. 18), en lui rappelant que « l’innocence timide est seule à dédaigner » (v. 24) et en mettant « en balance » les « intérêts d’amour » (v. 98) avec l’ambition politique.
à la scène I, 4 du Demetrius (1661) de Boyer, le favori Milon
suggère à son protecteur que « pour régner tout crime est glorieux » et se livre à
une célébration de l’ambition (p. 9-10).
Mais la « scène de Placidie » se caractérise également par le comportement de « femme forte » de son héroïne, qui se fait fort d’enseigner à son interlocuteur masculin la manière d’agir dans le monde.
De telles situations étaient également en vogue dans les pièces contemporaines :
Le 12 janvier 1663, quelques jours avant la parution des Nouvelles Nouvelles, était créée la Sophonisbe de Corneille, où plusieurs scènes présentaient la même configuration opposant un personnage féminin audacieux et un personnage masculin timoré (voir, par exemple, la scène I, 4 dans laquelle l’héroïne fait la leçon à Siphax)
Le 27 avril de la même année, avait lieu la première représentation de Nitétis de Mlle Desjardin, où tant l’héroïne éponyme que sa rivale Mandane imposent leurs vues aux hommes qui les courtisent ou les consultent (sc. III, 1 et II, 2).
En juillet 1664, Pierre Corneille donnera Othon, tragédie
comportant une scène dans laquelle Camille reproche au héros sa pusillanimité en
matière d’amour et d’ambition :
“Et c'est là ce grand coeur qu'on croyait
intrépide !
Le péril, comme un autre, à mes yeux l'intimide !
Et pour
monter au trône, et pour me posséder,
Son espoir le plus beau n'ose rien
hasarder !” (III, 5)
Donneau de Visé réoriente ainsi des données proches de celles du Stilicon (1661) de Thomas Corneille en fonction de motifs à la mode.