Les Nouvelles des Nouvelles Nouvelles
Un recueil de nouvelles ?
Les Nouvelles Nouvelles comportent plusieurs nouvelles, désignées en tant que telles par leur titre :
tome I : “Les Succès de l’Indiscrétion ou les Prospérités de l’indiscret. Nouvelle” et “La Prudence funeste. Nouvelle.”
tome II : “Les Nouvellistes. Nouvelle.”
tome III : “Le Jaloux par force. Nouvelle.”
À cela s’ajoutent “Les Aventures du Prince Tyanès”, qualifiées d’“histoire” (p. 295), mais assimilables à une nouvelle.
Comme son titre l’annonce, l’ouvrage offre ainsi un ensemble de nouvelles, quatre ou cinq selon la manière dont on effectue le décompte, réparties en trois volumes.
De ce point de vue, les Nouvelles Nouvelles s’inscrivent dans la continuité des Nouvelles françaises (1656) de Segrais,des Nouvelles tragi-comiques (1656, rééd. 1661) de Scarron ou des Nouvelles ou les Divertissements de la princesse Alcidiane (1661) de Mme de La Calprenède. Mais ces trois ouvrages sont composés sur le mode sériel (Scarron) ou sur la structure des “devisants” (Segrais et Mme de La Calprenède). Les Nouvelles Nouvelles ne présentent pas le même agencement rigoureux :
le mode de consommation des textes au sein de la fiction varie : les deux nouvelles du tome I sont narrées oralement par des protagonistes du salon d’Octavie (ce qui pose problème, cf p. 316), alors que celle des “Nouvellistes” est lue, selon le mode intime et silencieux, par l’un d’entre eux (sans qu’on sache comment le narrateur accède au texte que le personnage lit à part soi), et celle du “Jaloux par force” fait l’objet d’une lecture à haute voix en séance collective.
les diverses nouvelles appartiennent à des niveaux diégétiques différents : les nouvelles des deux premiers tomes sont racontées et lues par les participants du salon d’Octavie ; celle du tome III (“Le Jaloux par force”) est proposée au sein du cercle des nouvellistes, eux-mêmes protagonistes de la nouvelle racontée au niveau supérieur ;
la délimitation des niveaux diégétiques est souvent imprécise (p. ex. pas de retour au niveau supérieur à la fin de l’ouvrage) ; l’identité et le statut des narrateurs ne sont pas toujours clairement précisés.
Cet agencement complexe ne saurait toutefois occulter le fait que les Nouvelles Nouvelles sont fondamentalement un recueil de pièces diverses.
Des nouvelles nouvelles ?
A première vue, les nouvelles proposées par Donneau correspondent aux critères que Charles Sorel, parmi d’autres, établit à la page 177 du chapitre « Des romans vraisemblables et des nouvelles” de sa Bibliothèque française (1664). Elles satisfont en effet aux exigences de :
Vraisemblance (« histoires véritables de quelques accidents particuliers des hommes »)
Brièveté (« petites narrations »)
nouveauté (« des choses arrivées depuis peu »)
L’ouvrage de Donneau de Visé y apparaît toutefois comme un cas particulier : “On ne
saurait parler de rien de plus nouveau que des Nouvelles Nouvelles” (p.
180), remarquables également par d’”agréables inventions”. La nouveauté du projet,
vantée à titre publicitaire par Sorel, est d’ailleurs soulignée à plusieurs reprises par
Donneau dans son propre texte [déplier] « Tout est nouveau, je
n’ai voulu imiter personne “, préface, p. XXVII)
« j’espère que la nouveauté du
sujet dont j’ai à vous parler attachera tellement vos esprits qu’elle ne vous
laissera pas le temps d’examiner si je m’explique en assez beaux termes. » (t. I, p.
15)
“il dit que cette nouvelle n’était pas comme toutes les autres, qu’elle
commençait par où les autres finissaient et qu’elle décrivait les aventures qui
étaient arrivées au héros et à l’héroïne depuis leur mariage, au lieu de faire voir
celles qui leur étaient arrivées devant que de se marier. Il dit encore qu’elle
était divertissante et surtout si nouvelle que l’on ne devait point craindre de la
lire, de peur de trouver ce qui avait été déjà dit dans d’autres” (t,III, p.
130)
« Ce titre est nouveau, repartit Ariste, et je n’en ai point encore vu de
semblable. C’est pourquoi, permettez que je lise, pour satisfaire la curiosité qu’il
me donne. » (t. II, p. 300-301)
Bien que la revendication de nouveauté relève d’une démarche publicitaire, la structure et le contenu des nouvelles de Donneau présentent des aspects inédits, peut-être inspirés du théâtre contemporain. On y trouve en effet des histoires qui ne ressemblent que partiellement à ce que l’on désigne sous le terme de “nouvelle” : .
la première des nouvelles du tome I (« Les Succès de l’indiscrétion”) s’inscrit certes dans la lignée des “nouvelles d’aventures amoureuses” qui renouvellent le genre vers 1660). Mais elle se caractérise par une dimension philosophico-morale (au sens où elle s’interroge de manière insistante sur les options que doit choisir l’individu confronté à la volatilité de la Fortune), qui semble inspirée de certaines oeuvres théâtrales contemporaines.
« La Prudence funeste » (t. I) révèle elle aussi cette dimension philosophico-morale. Mais elle déploie un univers fictionnel proche de celui de la tragédie contemporaine, qui invite à la qualifier de “fiction de palais”.
« Le Jaloux par force » (t. III) se présente au croisement de deux influences. D’une part, la nouvelle développe des épisodes de combats et de duels semblables à ceux que l’on trouvait dans les Nouvelles françaises. D’autre part, elle procure, sous une formule relativement inédite, la représentation d’événements domestiques.
La nouvelle des “Nouvellistes”, qui occupe l’ensemble du t. II et qui sert de cadre au t. III, pourrait, quant à elle, être qualifiée de “nouvelle satirique” : en présentant à ses lecteurs les travers d’un groupe d’individus, elle s’attache à plaisanter sur le sujet de la circulation de l’information dans la société parisienne du début des années 1660 et fournit l’occasion de présenter diverses pièces.
Les Nouvelles Nouvelles semblent ainsi constituer une sorte d’hapax littéraire tant au niveau des thèmes abordés (thème de l'indiscrétion, de la diffusion de l'information, etc.) qu'au niveau des formes narratives.
Le recueil de 1663 inaugure ainsi les recherches formelles et thématiques que poursuivra Donneau avec les Diversités galantes (1664), les Nouvelles galantes, comiques et tragiques (1669) et L’Amour échappé, ou les diverses manières d’aimer, contenues en quarante histoires, avec le Parlement d’Amour (1669), puis le Mercure galant, à partir de 1672.