Curiosité
Les Nouvelles Nouvelles abordent à plusieurs reprises et sous des angles divers le sujet de la curiosité. Au travers du portrait qui est donné des nouvellistes principalement, le texte de Donneau de Visé propose un traitement singulier de ce qui, pour les contemporains, est à la fois une question morale au bénéfice d’une longue tradition et une préoccupation profonde de la culture mondaine.
La condamnation de la curiosité
Par la curiosité s’entend, en premier lieu, le désir de savoir. Désir condamnable en lui-même, puisqu’il entraîne l’homme dans la quête éperdue et périlleuse de connaissances qui lui sont interdites : vérités divines à tout jamais cachées à l’humanité (les autorités religieuses condamnent de tout temps cette “curiosité qui est la peste des esprits, la ruine de la piété, la mère des hérésies”, Bossuet, “Sermon sur l’Eglise”, 1660), mais également affaires d’État (les “secrets du cabinet” doivent par principe demeurer hors de portée du commun des mortels).
Mais, par-delà la contribution substantielle de la culture savante, de Plutarque (« De la curiosité », Œuvres morales) à La Mothe le Vayer (« De la curiosité », Petits Traités en forme de lettres, 1647 ; rééd. dans les Oeuvres de 1662), la réflexion morale sur le sujet s’épanouit, à l’époque de la publication des Nouvelles Nouvelles, dans les productions de la littérature mondaine. Nulle part mieux que dans les œuvres destinées au public de la cour et des salons, les enjeux et les risques de la curiosité peuvent être appréhendés : au sein de cet univers de l’observation réciproque, où la maîtrise de l’information joue un rôle capital, où le maintien du secret et la préservation de la réputation sont des impératifs vitaux, où règne l’obsession de la nouveauté, le désir de savoir est une aspiration de tous les instants et un défaut partagé par tous les individus.
L’analyse la plus élaborée à cet égard se trouve dans le « Prologue » de la nouvelle Célinte (1661) de Madeleine de Scudéry, au sein duquel les protagonistes tentent de déterminer « les justes bornes de la curiosité » (p. 41). [développement] La conversation débute par des considérations sur la légitimité naturelle de ce qui est « un des premiers effets de la raison » (p. 46). Mais c’est pour dénoncer aussitôt les effets néfastes de ce penchant de l’esprit humain qui, dans sa forme excessive, conduit à la déformation d’information, à la violation du secret et à la médisance. Le propos ne s’en termine pas moins par une ébauche de réhabilitation : la curiosité est finalement considérée comme une source de divertissement, en tant qu’elle permet d’amuser et d’entretenir le public mondain : « Je vous assure que quelquefois les gens curieux se divertissent mieux que les autres » (Célinte, 1661, p. 24).
La décennie qu’ouvre le bref mais incisif texte scudérien se clora par un autre discours élaboré sur la curiosité, cette fois sous forme de fiction narrative : l’intrigue des Amours de Psyché et Cupidon (1669) de La Fontaine est fondée principalement sur les mésaventures que fait connaître ce défaut à l’héroïne. [développement] Psyché n’a pas le droit de voir son mari, mais, plus le temps passe, plus la jeune fille éprouve du mal à résister à la tentation de découvrir le véritable aspect de celui qui la rejoint la nuit dans sa couche. Finalement, animée par ses soeurs envieuses, elle parvient subrepticement à surprendre et dévoiler le mystérieux conjoint, qui se révèle être le dieu Cupidon en personne. Abandonnée par son époux, livrée à une série d’épreuves, Psyché n’en sera pas pour autant guérie de son vice : elle ne saura s’empêcher d’ouvrir la boîte secrète que Vénus jalouse l’a envoyée chercher aux Enfers.
La curiosité selon les Nouvelles Nouvelles
Le recueil de Donneau de Visé offre un reflet riche et contrasté de l’importance que revêt le sujet de la curiosité pour le public mondain des années 1660.
C’est avant tout au travers de la figure satirique du nouvelliste, dont la curiosité est la caractéristique principale, que la question trouve son traitement le plus élaboré.
Mais le désir inconsidéré d’obtenir des informations est également au coeur de la “conversation des soupçons”, insérée au tome II des Nouvelles Nouvelles. Les exemples cités et les propos échangés rappellent à quel point la récolte, puis la divulgation d’informations, mensongères ou non, peuvent engendrer des répercussions préjudiciables sur la réputation des personnes concernées.
On retrouve enfin, au sein des diverses nouvelles qui composent le recueil, des motifs et des situations qui font écho au discours que tiennent les textes mondains sur le désir irrépressible de savoir. Ainsi le motif traditionnel de l’ouverture des lettres : le personnage curieux, pour satisfaire sa “passion”, est enclin à fouiller dans les affaires privées d’autrui; ce qui l’amène par exemple à intercepter et ouvrir des lettres qui ne lui sont pas destinées : « Zélane n’eut pas plus tôt ces lettres qu’elle les porta à Philoxaride, qui les lut aussitôt, selon le rang où les avait mis cette confidente, qui les avait déjà lues.» (Nouvelles Nouvelles, tome I, p. 27). Sans surprise, ce même schéma (qui avait déjà été dénoncé dans Célinte, p. 50) se reproduit avec les nouvellistes (t. III, p. 298-299).