Nouveauté
La nouveauté est une valeur essentielle de la culture mondaine du XVIIe siècle ; partant, elle est un critère primordial de l’évaluation de la littérature produite au sein de ces milieux. Elle est toutefois critiquée pour les excès verbaux et comportementaux auxquels elle tend à donner lieu, en particulier dans le domaine de la création littéraire.
Une composante de la sociabilité
La nouveauté constitue un enjeu important des pratiques sociables mondaines. Les propos échangés doivent en effet satisfaire à cette exigence, comme l’explicite Guéret dans sa Carte de la cour (1663), en décrivant métaphoriquement les champs fleuris de la province de Gentillesse :
Ce sont ces fleurettes qui, semées dans une conversation, la rendent si
charmante. N’oubliez pas au moins d’en faire votre provision, mais surtout ne prenez que
des plus fraîches et des plus nouvelles, et laissez celles qui pour avoir passé par trop
de mains commencent à se flétrir.
(p. 32)
Cette importance que revêt la nouveauté découle notamment de la place centrale qu'occupent les nouvelles (au sens d’« informations ») dans les conversations et les échanges épistolaires. Leur valeur de celles-ci dépend évidemment de la nouveauté des faits qu’elles relatent, ainsi que l’explicitent ces propos de la Clélie :
Cependant il est certain qu’il n’est pas encore si nécessaire à une
femme d’être jeune, pour être belle, qu’à une nouvelle d’être nouvelle pour être
agréable; et qu’il n’y a rien de plus importun que de recevoir une longue relation d’une
vieille aventure.
(Clélie, II, 2, p. 1136)
Comme il en va de tout comportement, le goût pour la nouveauté doit toutefois demeurer
raisonnable et éviter l’excès. A l’instar de la curiosité - avec laquelle on lui reconnaît des affinités (on ne
peut rien apprendre de nouveau sans être curieux) - il peut être envisagé aussi bien de
manière favorable ou défavorable. Dans ce dernier cas, il constitue un sujet de satire.
[exemples] Les nouvellistes tels que les présente Donneau de
Visé sont évidemment un parfait exemple de cet excès. Leur curiosité est en effet dictée par ce
goût immodéré pour les nouveautés, qu’illustre notamment le comportement de Clorante
au début du tome II des Nouvelles Nouvelles (p. 14) : “il ne se fait
rien de nouveau dans Paris que je n’aie des premiers”. La “Conversation des
nouvellistes”
fournit également plusieurs exemples de cette obsession pour l’inédit.
Dans les Précieuses ridicules de Molière, le goût pour la
nouveauté de Cathos et Madelon est outré de manière comique : “j'aurais toutes les
hontes du monde s'il fallait qu'on vînt à me demander si j'aurais vu quelque chose
de nouveau que je n'aurais pas vu.” (I, 9).
Dans La Relation de
Paphlagonie (1659) de Segrais, la nouveauté est une valeur trompeuse :
“Gelatille l’aimait extrêmement, et cela est facile à croire, puisque par dessus
toutes ces bonnes qualités, il avait celle de la nouveauté : ce qui n’était pas peu
de chose pour elle. Leurs amours durèrent longtemps, et cette longueur les diminua.
Ils entrèrent en jalousie et se querellèrent souvent […] mais tout cela n’empêcha
pas qu’ils ne se mariassent ensemble sans s’aimer, car pour lors l’amour était
passé.” (édition de 1723, p. 262).
Un enjeu littéraire majeur
Dans le contexte de la littérature mondaine, la nouveauté d’un ouvrage constitue l’un des critères d’évaluation majeurs. Sorel déjà, dans sa Description de l’Ile de Portraiture (1659), prend acte à la fois de l’inflation d’ouvrages nouveaux et de l’obsession du public pour cette nouveauté :
Maintenant qu’il y a tant de peintre nouveaux, à peine regarde-t-on les ouvrages anciens : comme l’humeur des personnes de ce temps est de vouloir tous les jours qu’on leur montre des livres nouveaux et des tableaux nouveaux, aussi veulent-ils des auteurs nouveaux et des peintres nouveaux. (p. 88)
Au tome III des Nouvelles Nouvelles, Donneau de Visé l’enregistre même comme l’une des règles de fonctionnement du Parnasse :
Les auteurs qui pourront trouver quelque chose de si nouveau que chacun demeure d’accord de n’avoir jamais rien vu de semblable, seront les plus estimés, quand même leurs ouvrages n’auraient pas la dernière perfection. (p. 143)
Et de fait, de nombreux ouvrages contemporains font de cette propriété l’une de leurs
principales qualités. [exemples] Plusieurs titres d’ouvrages
recourent à ce terme comme argument de vente. Les Nouvelles Nouvelles
en sont un parfait exemple.
La préface des Histoires facétieuses et
morales (1663) s’efforce de valoriser le recueil qu’elle présente
notamment par sa nouveauté : « Il y en a quelques unes [d’histoires] qui ont déjà vu
le jour, lesquelles dans un nouvel équipage, serviront de guide aux autres qui ne
font que naître, et lesquelles ne peuvent faillir d’être encore mieux reçues pour
leur nouveauté que celles qui leur montrent le chemin. »
En 1664, pour
vendre le recueil des Epîtres dédicatoires et Préfaces de Cureau de
la Chambre, son libraire a dû se résigner à y joindre des lettres pour que l’ouvrage
présente quelque nouveauté : « Mais parce que la plupart de ces pièces ont déjà paru
au public et ont perdu la grâce de la nouveauté, je souhaitais d’avoir quelques-unes
de ses lettres familières pour suppléer à ce défaut ». (« Le libraire au
lecteur »)
L’épître dédicatoire d’une édition de 1665 de La Soirée
des auberges de Donneau de Visé promeut la nouveauté de son ouvrage :
« Comme les nouveautés sont ordinairement bien reçues, j’ai cru que celle-ci
pourrait trouver des approbateurs ».
En 1665, bien qu’il ne fasse
explicitement que compiler les meilleures pensées d’amour des poètes, Jean
Corbinelli met en avant les nouveautés que le lecteur y trouvera : « Je crois que ce
dessein ne sera pas désapprouvé de ceux qui chérissent les nouveautés, puisqu’ils
trouveront en deux petits volumes ce qu’ils chercheraient avec peine dans plus de
cent. » (Sentiments d'amour tirés des meilleurs poètes
modernes)
En outre, plusieurs discours évaluent la manière dont la nouveauté participe ou non à
la réussite d’un ouvrage. [exemples] Dans les Entretiens
d’Ariste et d’Eugène (1671) l’entretien intitulé « Le bel esprit »
présente la nouveauté comme une condition indispensable à la reprise des idées
d’autrui : « Je veux bien aussi qu’il se serve dans les rencontres des pensées des
bons auteurs, pourvu qu’il y ajoute des beautés nouvelles et qu’à l’exemple des
abeilles, qui changent en miel ce qu’elles prennent sur les fleurs, non seulement il
choisisse ce qu’il y a de bon dans les livres. »
Dans le Roman
bourgeois, Furetière explique le déclin des recueils collectifs par leur
vieillissement : “ils ont en cela je ne sais quoi de commun avec le vin qui ne vaut
plus rien quand il est au-dessous de la barre, quoiqu’il fût excellent quand il
était frais percé. (p. 244-245).
L’Abbé de Pure, dans l’Idée des spectacles anciens et
nouveaux (1669), fait de la nouveauté l’une des quatre qualités
principales nécessaires à la réussite d’un spectacle (“Les ballets”, section II). En
revanche, dans la « Conversation des pointes ou pensés » insérée au tome II des
Nouvelles Nouvelles (p. 123sq), Arimant élabore une
théorie de l’émotion esthétique où c’est la reconnaissance des choses familières et
non la nouveauté qui provoque le plus d’effet sur l’auditeur.
L’Abbé de
Pure, également dans l’Idée des spectacles anciens et nouveaux, met
en évidence les dangers de la nouveauté lorsqu’elle touche aux événements d’une
histoire familière : « Il y a même quelque avantage pour le spectateur, de ne lui
offrir que des objets connus et des événements divulgués, parce qu’il pénètre plus
aisément dans une chose de soi éclaircie qu’il la croit plus volontiers, et qu’il
regarde avec plus de respect des vieilles imaginations qui ont essuyé la critique de
tous les habiles et de tous les temps. Au contraire, faute d’assez de connaissance
ou d’estime pour les inventions nouvelles, il se révolte aisément, et s’érige en
juge, et se rendant selon son caprice ou indulgent ou sévère, il se dégoûte de ce
qu’il voit, et ne prend plus plaisir qu’à critiquer ou à contredire. »
(p. 217)
Plusieurs auteurs fustigent toutefois les excès auxquels mène l’emprise de la nouveauté sur la production littéraire.
La logique de surenchère inhérente à la nouveauté risque en effet de produire
des monstres littéraires, péril que dénonce Guéret dans sa Promenade de
Saint-Cloud à propos du Roman Bourgeois (1669)
[extrait] « Ces gens qui donnent si fort dans les dessins
extraordinaires ne plaisent que rarement. Ils égarent presque toujours le bon
sens dans ces routes écartées qu’ils recherchent avec tant de curiosité ; et
l’ambition qu’ils ont de dire des choses nouvelles fait qu’ils en disent
d’extravagantes.
L’idée du Roman bourgeois est à peu
près de cette nature. Le titre en paraît d’abord surprenant. On y voit un
“Tarif” et une “Epitre dédicatoire au bourreau”. Voilà de la nouveauté. Mais
combien y aurait-il de choses semblables qui ne seraient plus nouvelles, si tous
ceux qui se sont mêlés d’écrire s’étaient laissé emporter au dérèglement de leur
imagination ? De tels ouvrages sont des chimères et des monstres dans les
belles-lettres. Ce sont comme des écarts de la droite raison, et ils ne trouvent
jamais d’approbateurs que parmi les visionnaires. » (éd. de 1751,
p. 196)
L’importance accordée à la nouveauté se concrétise aux dépens de la qualité des
créations littéraires. [extraits] Guéret, dans sa
Promenade de Saint-Cloud (éd. de 1751, p. 197) impute le succès des Lettres portugaises (1669) à
leur seule nouveauté.
La même Promenade de Saint-Cloud
associe le nombre élevé d’ouvrages nouveaux à des motivations purement
financières : “C’est de là, dis-je alors, que nous viens cette grande multitude
de livres nouveaux. Car enfin, si ceux qui se mêlent d’écrire n’avaient soin que
de leur réputation, ils ne sortirait pas tant de volumes de leur cabinet, et ils
emploieraient plutôt toute leur vie à polir une seule pièce.” (éd. de 1751,
p. 224)
Dans l’Art poétique de Boileau, elle est
cause du goût dévoyé pour le burlesque, qui entraîne une dégénérescence de la
littérature : “Au mépris du bon sens, le burlesque effronté, / Trompa les yeux
d’abord, plut par sa nouveauté. / On ne vit plus en vers que pointes triviales ;
/ Le Parnasse parla le langage des halles ; / La licence à rimer alors n’eut
plus de frein, / Apollon travesti devint un Tabarin.” (Chant I)
A la fin du siècle, La Bruyère, dès la cinquième édition
de ses Caractères, dénonce la même perversion : “Cette indolence
avait rempli les boutiques et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres
froids et ennuyeux, d’un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et
sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances, écrits avec
précipitation, et lus de même, seulement par leur nouveauté” (10e édition, 1699,
p. 7)
L’obsession de la nouveauté entraîne une inconstance du public envers les auteurs, les ouvrages, et même les genres. [exemple] Sorel reprend ce défaut dans sa Description de l’Ile de portraiture (1659) en prêtant les propos suivants au sage Megaloteknes : “Ils [le public] se lasse des ouvriers comme de leurs ouvrages. Qu’un inconnu arrive dans une ville, parce qu’il n’est point connu, ses ouvrages en sont plus recherchés et on ne tient compte de ceux qu’on connaît. C’est que les hommes ne sont jamais contents de ce qu’ils ont. Ils se persuadent toujours qu’il se trouve quelque chose de plus agréable que ce qu’ils voient. Mais s’ils se lassent des ouvrages et des ouvriers, encore se lassent-ils des différentes sortes de pièces que l’on leur présente. Leur propre inconstance les travaille et les punit, et nous sommes assez vengés de leur mépris par le mauvais état où ils se trouvent, ayant si peu profité par leur curiosité impertinentes et inutile. (p. 89-90).
Les termes du débat qui consiste à se demander fondamentalement, à l’instar
d’une conférence de Richesource, “S’il y a quelque chose de nouveau”, sont repris
dans la littérature par certains auteurs qui estiment que la nouveauté est une
illusion. [exemples] Dans la “Conversation des pointes ou
pensées” du tome II des Nouvelles Nouvelles, Arimant discourt sur
le fait qu’il n’y a pas de nouveauté (p. 120).
Les
Caractères de la Bruyère (1688) débuteront par le célèbre : “Tout est
déjà dit, et l’on vient trop tard”.